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l’embellissement de laquelle s’employèrent les peintres, sculpteurs, verriers et fondeurs d’une très nombreuse colonie « d’ouvriers estrangiers » c’est à dire d’artistes belges et hollandais,[1] L’architecture de la Chartreuse était française ; ce fut maître Dreux de Dampmartin qui conçut les « traiz des édiffices. » Par contre la décoration et l’ornementation sculpturale et picturale resta l’œuvre presque exclusive des maîtres du nord. On commença les travaux en 1377 et l’église fut consacrée dix ans plus tard par une brillante cérémonie. Marguerite de Mâle était agenouillée dans la chapelle de Saint-Antoine, le duc priait dans la chapelle des Anges. Dans le nef centrale, le maire de Dijon, Jean Baudot, était entouré de vingt échevins. Les imagiers, peintres et ménestrels du duc — presque tous flamands, wallons, hollandais, étaient mêlés à la foule des gentilshommes, dames et damoiselles menant « grands et excessifs estats. » L’évêque de Troyes officiait, couvert d’une chape emperlée, lourde comme une cloche d’or, et le soleil, traversant les belles verrières exécutées à Malines, jetait sur cette assistance recueillie et magnifique, le subtil manteau de ses irisations mouvantes. Ce décor merveilleux donnait l’avant-goût des tableaux de Jean van Eyck. Le monastère avait été édifié tout d’abord dans un but de piété ; le duc de Bourgogne résolut ensuite de transformer la Chartreuse en sépulcre ducal où les moines garderaient son tombeau et ceux de ses successeurs. C’est ainsi que le Chartreuse de Champmol, appelée communément Chartreuse de Dijon, devint le Saint-Denis des princes bourguignons.

Que reste-t-il de cette nécropole ouvragée, ruisselante jadis de couleurs et de dorures ? La fureur révolutionnaire a complètement détruit l’édifice primitif, ne laissant subsister qu’un débris de tour. L’oratoire des ducs se trouvait au premier étage de cette ruine et c’est là qu’étaient placés les tombeaux de Philippe le Hardi et de Jean sans Peur, transportés aujourd’hui au musée de Dijon. La Chartreuse est remplacée par les locaux de l’Asile départemental des aliénés de la Côte d’Or, — une grande bâtisse affligeante comme la souffrance qu’elle abrite. Deux vestiges du monastère d’autrefois assurent une incomparable noblesse à cette misère d’aujourd’hui : le Portail de l’ancienne église placé à l’entrée de la chapelle actuelle, et le chef d’œuvre appelé communément Puits de Moïse,

  1. Cf. Cyprien Monget. La Chartreuse de Dijon d’après les documents des archives de Bourgogne. Montreuil-sur-Mer 1898-1901. 2 vol. ; Dehaisnes, Histoire de l’Art, ch. XII, p. 495 et suiv. ; Courajod, Leçons. V. II, p. 351 et suiv. ; Michiels, l’Art flamand dans l’Est et le midi de la France.