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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/106

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Ces heureuses réunions, sur lesquelles l’esprit aimable et les grâces enjouées du vieillard savaient répandre tant de charmes, étaient encore animées par la présence de la femme distinguée à laquelle il avait donné son nom. James Watt s’était décidé, après quelques années de veuvage, à épouser la fille d’un fabricant du comté. Les goûts éclairés, le jugement solide et les connaissances sérieuses de mademoiselle Mac-Gregor, avaient surtout contribué à fixer son choix. Les premières relations s’étaient établies autour d’une table à thé, dans l’une des soirées de Watt. On avait parlé de Shakespeare et de Racine, et Watt avait défendu l’auteur de Macbeth contre le poëte d’Athalie prôné par mademoiselle Mac-Gregor. La discussion amena un échange de lettres, et le mariage s’ensuivit. Les précieuses qualités de madame Watt rendaient sa maison doublement chère à ses amis : nulle part, en effet, la science du bon accueil n’était mieux entendue.

La littérature et les événements du jour n’étaient pas cependant la seule matière des entretiens. Comme on le pense, la science avait son tour, et la chère mécanique n’était pas oubliée. Le génie fertile de Watt y trouvait quelquefois de soudaines occasions de s’exercer avec profit. Un jour Darwin entrant chez lui :

— Je viens d’imaginer, dit-il, certaine plume à deux becs, à l’aide de laquelle on écrira chaque chose deux fois, et qui donnera ainsi d’un seul coup l’original et la copie d’une lettre.

— J’espère trouver une meilleure solution, répliqua James Watt. J’y penserai ce soir, et je vous communiquerai demain le résultat de mes réflexions.

Le lendemain la presse à copier les lettres était inventée.

C’est de cette manière qu’il imagina la curieuse machine qui permet d’obtenir, par des moyens très-simples, la reproduction d’une statue, d’un bas-relief ou d’un buste. Cette invention intéressante fut réalisée dans les dernières années de James Watt. Il en distribuait les produits à ses amis, en les priant d’accepter « cette œuvre d’un jeune artiste qui ne fait que d’entrer dans sa quatre-vingt-troisième année ».

Ainsi le feu de son heureux génie, qui s’était fait jour dès les premiers instants de sa jeunesse, brillait encore aux derniers temps de sa vie. Il faut connaître, pour ne point s’en étonner, le caractère et les qualités spéciales de l’esprit de James Watt. Le célèbre ingénieur avait reçu en partage le don rare et précieux de l’imagination. C’est par une vue très-fausse et très-mal justifiée, que l’on s’accorde généralement à resserrer le rôle de l’imagination dans le domaine exclusif des lettres et des beaux-arts. Cette heureuse faculté préside plus qu’on ne le pense aux créations scientifiques. Pour se lancer, dans les hautes régions de la science, à la recherche de l’inconnu ; pour marcher, par des sentiers nouveaux, vers ces horizons voilés que l’avenir nous dérobe, il faut souvent suivre des yeux l’étoile inspiratrice qui brille au firmament des poëtes. C’est en s’écartant des règles établies, en s’élançant, par une vue souveraine, hors du cercle étroit des opinions communes, qu’un homme supérieur s’élève aux grandes conceptions qui immortalisent son génie. Watt en fournirait au besoin un éclatant exemple. Il avait reçu de la nature la faculté de l’imagination, et il eut la fortune de préserver ce don brillant du dangereux contact de l’éducation des écoles. Son humble origine, les modestes occupations de sa jeunesse, eurent pour résultat d’éloigner de son esprit les règles absolues et les tranchantes formules de l’enseignement classique. S’il eût pris sa part de l’instruction banale qui se débitait à l’université d’Oxford, il serait devenu sans doute un professeur érudit ; livré à lui-même, il devint le premier mécanicien de son temps. Il est reconnu que Watt n’avait aucune de ces connaissances obligées et communes qui font le savant mathématicien. On assure qu’il n’avait