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L’exécution du projet de Périer ne tarda pas à justifier les craintes et les critiques qu’il avait suscitées dès le début. On en fit l’expérience sur la Seine, avec un petit bateau que Périer avait loué, et une machine de Watt à simple effet, qui n’était d’aucun usage dans ses ateliers. Par suite de ses calculs inexacts sur les résistances à vaincre, Périer avait été amené à donner au moteur la seule force d’un cheval ; le cylindre de sa machine à vapeur n’avait que 21 centimètres de diamètre. Il en résulta que le bateau put à peine surmonter l’effort du faible courant de la Seine[1].

La compagnie aux frais de laquelle l’expérience s’exécutait, abandonna immédiatement l’entreprise.

Cependant le marquis de Jouffroy était retourné dans sa province, plein de confiance dans la certitude de ses idées, et impatient de mettre à exécution le plan qu’il avait conçu.

Il y a dans la Franche-Comté, à cent lieues de Paris, entre Montbéliard et Besançon, une petite ville nommée Baume-les-Dames, assise sur la rive droite du Doubs. C’est là que le hardi inventeur entreprit de réaliser le projet qui venait d’échouer entre les mains du plus riche et du plus habile manufacturier de la capitale.

Ce n’était pas une pensée sans courage que de tenter l’exécution d’un projet de ce genre, au fond d’une province reculée, et dans un lieu dénué de toute espèce de ressources de fabrication. À une époque où l’art de construire les machines à vapeur était encore à naître parmi nous, il était impossible de songer à se procurer, dans la Franche-Comté, un cylindre alésé et fondu. Il n’y avait à Baume-les-Dames, qu’un simple chaudronnier : c’est à lui que M. de Jouffroy s’adressa pour construire le cylindre de sa machine. Ce cylindre, ouvrage d’art et de grande patience, était fait de cuivre battu ; il était poli au marteau à l’intérieur ; le dehors était soutenu par des bandes de fer reliées par des anneaux de même métal. Il ressemblait à ces canons de bois, fortifiés par des cercles métalliques, dont on fit usage dans les premiers temps de l’artillerie.

Le bateau qui fut construit sur les bords du Doubs, par le marquis de Jouffroy, n’avait pas de grandes dimensions ; il n’était long que de quarante pieds, sur six de large. Quant à l’appareil moteur destiné à tenir lieu de rames, il ressemblait beaucoup à ces rames articulées, à ce système palmipède, que Genevois avait décrit dans sa brochure publiée à Londres, en 1760, et dont il a été question plus haut. Des deux côtés du bateau, sortaient deux tiges de huit pieds de longueur, portant à leur extrémité, une sorte de châssis, formé de deux volets mobiles, comme nos persiennes, et plongeant à dix-huit pouces dans l’eau ; ce châssis décrivait un arc de trois pieds de corde et de huit pieds de rayon. Une machine de Watt à simple effet, installée au milieu du bateau, mettait en action ces rames articulées. Le mécanisme destiné à leur transmettre le mouvement, se composait d’une chaîne de fer attachée au piston et qui s’enroulait sur une poulie, pour venir se fixer à la tige du châssis. Lorsque la vapeur introduite dans le cylindre, soulevait le piston, un contre-poids placé à l’extrémité du châssis, ramenait celui-ci vers l’avant du bateau, et dans ces mouvements, les volets se refermaient d’eux-mêmes, par suite de la résistance du liquide. La condensation de la vapeur ayant opéré le vide dans l’intérieur du cylindre, la pression atmosphérique entraînait le piston jusqu’au bas de sa course, et par suite de la traction de la chaîne attachée au piston, la rame se trouvait ramenée avec force contre les flancs du bateau ; tandis que les volets mobiles s’ouvraient, de manière à offrir toute leur surface à la résistance du fluide.

Il est bon de remarquer ici que le système palmipède adopté par M. de Jouffroy, était le seul qui pût permettre d’appliquer avec quel-

  1. Ducrest, Essai sur les machines hydrauliques, p. 131.