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que avantage la machine à simple effet à la propulsion des bateaux, car ce genre de machine ne produit d’effet utile que pendant la chute du piston ; aucune action mécanique n’a lieu, comme on le sait, lorsque le piston remonte. Le contre-poids attaché à l’extrémité du châssis plongeant dans l’eau, était l’analogue du contre-poids qui, comme on l’a vu (page 70), se trouve fixé à l’extrémité droite du balancier, pour faire basculer ce balancier. Le procédé adopté par M. de Jouffroy était donc le moyen le plus ingénieux et le plus simple de tirer parti de la machine à vapeur telle qu’elle existait à cette époque.

Le petit bateau du marquis de Jouffroy navigua sur le Doubs, pendant les mois de juin et de juillet de l’année 1776.

Ces expériences suffirent pour faire reconnaître le vice du système palmipède. Une fois ramenés à l’avant du bateau, les volets à charnières, tirés par la chaîne du piston, devaient s’ouvrir d’eux-mêmes, par suite de la résistance du liquide. Au départ, ou quand la vitesse était médiocre, ils s’ouvraient, en effet, sans difficulté ; mais, lorsque le bateau avait acquis une certaine vitesse, la rapidité du courant les empêchait de se développer. Cet inconvénient était surtout prononcé quand on remontait le cours de la rivière ; en descendant il ne se manifestait que plus tard.

Un tel défaut, il faut le dire, était loin d’être sans remède ; et de nos jours, le plus médiocre mécanicien eût trouvé moyen de l’annuler, en armant les volets de quelque pièce mécanique, qui les aurait forcés de s’ouvrir au moment utile, et sans qu’il fût nécessaire de compter, pour réaliser cet effet, sur la résistance de l’eau. Mais des procédés d’exécution, qui ne seraient qu’un jeu pour les mécaniciens de notre époque, apparaissaient alors comme des problèmes insolubles. M. de Jouffroy recula devant cette difficulté insignifiante. Au lieu de chercher à perfectionner le mécanisme de ses rames palmées, il abandonna entièrement ce système, pour adopter celui des roues à aubes ou à palettes.

L’application des roues à aubes à la navigation, était loin de constituer une idée nouvelle. La pensée de réunir sur une roue un certain nombre de rames, afin d’obtenir un emploi plus commode de la force motrice, remonte jusqu’à l’antiquité.

Les roues à palettes sont au nombre des machines très-anciennes dont Vitruve ne connaissait pas l’inventeur[1].

Il existe des médailles romaines qui représentent des navires de guerre (liburnes) armés de trois paires de roues, mues par des bœufs, et Pancirole, professeur de Padoue, qui en parle en 1587, prétend qu’elles surpassaient en vitesse les meilleures trirèmes[2].

D’après un manuscrit cité par M. de Montgery[3], il y aurait eu des roues à aubes tournées par des bœufs, à bord des radeaux qui transportèrent les Romains en Sicile, pendant la première guerre punique.

Un écrivain militaire du xve siècle, Robert Valturius, fait aussi mention de la substitution des roues à aubes aux rames ordinaires. Il donne, dans son ouvrage, les dessins, grossièrement exécutés, de deux bateaux munis de petites roues en forme d’étoiles, et composées de l’assemblage de quatre rayons placés en croix, réunis à un centre commun[4].

Enfin le petit bateau à vapeur que Papin construisit en 1707, pour essayer de descendre le Wéser, naviguait à l’aide de rames tournantes dont Papin avait emprunté l’idée à un petit bateau de plaisir appartenant au

  1. Pollionis Vitruvii Architectura, lib. X, cap. ix et x (De organorum ad aquam hauriendam generibus).
  2. « Vidi etiam effigiem navium quarumdam, quas Liburnas dicunt quæ ab utroque latere extrinsecus tres habebant rotas, aquam attingentes : quarum quælibet octo constabat radiis, manus palmo e rota prominentibus : intrinsecus vero sex boves machinam quamdam circumagendo, rotas illas incitabant : et radii aquam retrorsum pellentes. Liburnam tanto impetu ad cursum propellebant, ut nulla triremis ei posset resistere. » (Guidonis Panciroli Res memorabiles, sive deperditæ, commentariis illustratæ ab Henrico Salmuth, pars 1, p. 127.)
  3. Annales de l’industrie, t. VIII, p. 294.
  4. Robertus Valturius, De re militari, lib. XI, cap. xii.