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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/208

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« Excusez-moi, dit-il d’une voix altérée, je songeais que ces six dollars sont le premier salaire qu’aient encore obtenu mes longs travaux sur la navigation par la vapeur. Je voudrais bien, ajouta-t-il en prenant la main du passager, consacrer le souvenir de ce moment, en vous priant de partager avec moi une bouteille de vin ; mais je suis trop pauvre pour vous l’offrir. J’espère cependant être en état de me dédommager la première fois que nous nous rencontrerons. »

Ils se rencontrèrent en effet quatre ans après, et cette fois le vin ne manqua pas pour célébrer un touchant souvenir.

Fulton fit connaître au public le succès de sa belle entreprise, par une note d’une remarquable simplicité, adressée par lui aux journaux de New-York. Elle était ainsi conçue :


« À l’Éditeur du Citoyen américain.
« Monsieur,

« Je suis arrivé cette après-midi à quatre heures, sur mon bateau à vapeur, parti d’Albany. Comme le succès de mes expériences me fait espérer que de semblables bateaux sont appelés à prendre une grande importance dans mon pays, afin de prévenir toute opinion erronée et donner aux amis des inventions utiles la satisfaction qu’ils désiraient, je vous prie de vouloir bien donner de la publicité aux résultats suivants :

« J’ai quitté New-York lundi à une heure, et suis arrivé à une heure le lendemain mardi, c’est-à-dire en vingt-quatre heures, à Clermont, habitation du chancelier Livingston : distance, 110 milles. J’ai quitté Clermont le mercredi à neuf heures du matin, et je suis arrivé à Albany à cinq heures de l’après-midi : temps, huit heures ; distance, 40 milles, c’est-à-dire avec la vitesse de 5 milles à l’heure.

« Robert Fulton. »

Après ce premier voyage, le Clermont fut immédiatement consacré à un service régulier de New-York à Albany. Comme il se trouva bientôt encombré de passagers, on augmenta sa longueur de plusieurs mètres. Dès le commencement de l’année 1808, il faisait un service quotidien sur l’Hudson avec une vitesse constante de 5 milles à l’heure.

Le Clermont fut le premier bateau à vapeur qui indemnisa ses propriétaires des dépenses occasionnées pour sa construction.

Ce ne fut pas néanmoins sans difficultés que ce nouveau système de navigation parvint à s’établir sur l’Hudson. On prétendait qu’il serait préjudiciable aux intérêts du pays, en nuisant au développement des constructions navales. Les bâtiments à voiles qui naviguaient sur l’Hudson, endommagèrent souvent le pyroscaphe, en le heurtant, ou l’accostant volontairement, avec l’intention de le couler. Le Congrès de l’État de New-York fut obligé, pour mettre un terme à ces atteintes, de les considérer comme des offenses publiques, punissables d’amende et d’emprisonnement.

Malgré les obstacles inévitables que rencontre toute invention nouvelle, quand elle surgit au milieu d’intérêts contraires, depuis longtemps établis, l’entreprise de Fulton et Livingston acquit rapidement un haut degré de prospérité.

Le 11 février 1809, Fulton obtint du gouvernement américain, un brevet qui lui assurait le privilége de ses découvertes concernant la navigation par la vapeur. Pendant l’année 1811, il construisit quatre magnifiques bateaux. Le plus grand, qui prit le nom de Chancelier Livingston, était du port de 526 tonneaux ; il était destiné au service de New-York à Albany.

En 1812, Fulton établit deux bateaux-bacs mus par la vapeur, pour traverser l’Hudson et la rivière de l’Est. Il construisit, en même temps, divers autres bateaux, pour le compte de quelques compagnies, auxquelles il cédait les droits concédés dans son privilége. C’est ainsi que la navigation par la vapeur put s’établir en quelques années, sur les diverses branches du Mississipi et de l’Ohio.

La création, aux États-Unis, de la marine à vapeur, était l’événement le plus considérable qui se fût accompli depuis la guerre de l’indépendance. Les travaux de Fulton imprimèrent une activité nouvelle au génie amé-