Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/470

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

parut pas néanmoins établi d’une manière suffisante, et il s’éleva parmi les anatomistes et les physiciens de longues discussions sur ces veines de l’oiseau crevées ou intactes ; on discuta toute une semaine sur ce grand sujet. Époque heureuse et naïve où la science préoccupait assez les esprits, pour faire disserter pendant huit jours sur l’état des veines d’un moineau[1] !

L’intérêt et la curiosité qu’excitait à Paris l’expérience de la commotion électrique, se propagèrent bientôt dans l’Europe entière. Ce divertissement d’un nouveau genre resta à la mode un grand nombre d’années. Pendant que les savants colportaient dans les salons la bouteille de Leyde, les bateleurs la promenaient dans les rues. Des physiciens improvisés allaient, de ville en ville, montrer le spectacle de ce singulier phénomène.

On avait simplifié, pour le rendre portatif, l’appareil qui servait à exécuter l’expérience. On vendait, sous le nom de bouteille d’Ingenhousz, un instrument qui réunissait tout à la fois la bouteille de Leyde et la machine électrique nécessaire pour la charger. Réduite à de petites dimensions, la bouteille se renfermait dans un étui. Quant à la machine électrique, elle se composait tout simplement d’un morceau de peau de lièvre et d’un ruban de soie, recouvert d’un vernis résineux. En frottant le ruban de taffetas verni, avec la peau de lièvre, on y développait de l’électricité. Promenant ensuite le bouton métallique sur la garniture intérieure de la bouteille, on chargeait cette dernière d’une quantité de fluide électrique suffisante pour exciter une commotion.

On vendait aussi sous le nom de canne électrique, un véritable instrument à surprises. C’était un tube de verre, rempli à l’intérieur d’une substance conductrice de l’électricité, et enveloppé presque jusqu’à son extrémité supérieure, d’un tube de fer-blanc. Le tout était peint, au dehors, d’une couleur de bois, de manière à simuler une canne ordinaire. Après avoir électrisé, au moyen du ruban et de la peau de lièvre, cette bouteille de Leyde dissimulée, on l’offrait à la personne à laquelle on voulait occasionner la surprise. Quand cette personne, sans défiance, saisissait la canne, par la pomme qu’on lui présentait, sa main, se trouvant à la fois en contact avec le tube de verre extérieur et la garniture métallique intérieure, réunissait les deux surfaces interne et externe de l’instrument, et elle recevait ainsi, à l’improviste, la commotion électrique. C’était une variante scientifique de la manière de s’amuser en société sans se fâcher.

Pendant cette diffusion banale des nouvelles découvertes de la physique, bien des accidents singuliers durent être observés, et il est à regretter que les mémoires du temps n’en aient pas retenu un plus ample souvenir.

Parmi les événements bizarres auxquels donnèrent lieu les expériences faites dans le public avec la bouteille de Leyde, on nous permettra de citer le suivant, bien que d’une époque un peu postérieure à l’année 1747, à laquelle se rapporte ce qui précède. C’est le physicien Sigaud de Lafond qui le raconte, dans son ouvrage sur l’électricité.

Sigaud de Lafond était professeur au collège d’Harcourt, à Paris, aujourd’hui lycée Saint-Louis. En répétant l’expérience de la chaîne électrique, sur les élèves de sa classe, composée de soixante jeunes gens, il remarqua que, bien que la bouteille fût assez fortement électrisée, la commotion ne se fit sentir que jusqu’à une demi-douzaine de personnes. Il rechargea la bouteille et répéta de nouveau l’expérience, mais le résultat fut encore le même : l’électricité s’arrêtait toujours à la sixième personne du côté de celui qui tirait l’étincelle. Tout le monde s’en prit alors au jeune homme placé à ce rang de la chaîne, et qui semblait mettre obstacle à la propagation du fluide. On l’accusa d’être la cause de l’in-

  1. Abrégé des Transactions philosophiques, vol. X, p. 336 (texte anglais). — Mémoires de mathématique et de physique de l’Académie des sciences de Paris, pour 1746, p. 22.