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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/498

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un sens mieux en harmonie avec le caractère de la religion païenne. Pour les Grecs, le tonnerre et les éclairs provenaient des Cyclopes, occupés dans les cavernes de Lemnos à forger les foudres qui devaient servir aux vengeances de Jupiter. Mais le don de faire retentir le tonnerre était réservé à la plus puissante des divinités de l’Olympe, et c’est avec cet attribut symbolique, c’est-à-dire la foudre en main, que la religion païenne a toujours représenté le père des dieux.

Les Romains, aussi bien que tous les peuples de l’Asie, partagèrent cette croyance que le tonnerre était une manifestation spéciale et caractéristique de la Divinité. En vain Lucrèce avait-il essayé de réfuter, en vers admirables, cet antique préjugé[1] : le sentiment d’un poëte sceptique ne pouvait opposer qu’une barrière bien faible à une superstition populaire dérivée de la religion, et en apparence justifiée par les faits.

On continua donc, chez les Romains, à considérer la foudre et les orages comme une manifestation spéciale de la volonté des dieux. Cette opinion se transmit et se maintint après eux, chez presque tous les peuples de notre hémisphère.

On connaît l’impression que produisirent sur l’esprit des habitants du Nouveau-Monde les mousquets et les canons des Espagnols. Si tout fuyait à l’approche des soldats de Pizarre et de Cortès, c’est que ces hordes sauvages ne pouvaient que regarder comme des dieux vengeurs, des conquérants qui s’avançaient tenant dans leurs mains la foudre et les éclairs.

Lorsqu’au xvie siècle les saines lumières de la philosophie vinrent dissiper les épaisses ténèbres où les esprits s’égaraient depuis si longtemps, les hommes, moins crédules et un peu plus observateurs, osèrent envisager de plus près ce redoutable météore. Il est assez remarquable que ce soit Descartes, l’immortel rénovateur de la philosophie dans les temps modernes, qui ait essayé le premier de découvrir la cause du tonnerre. La théorie mise en avant par Descartes était erronée sans doute, mais elle avait du moins l’avantage de poser la question de manière à préparer pour l’avenir la solution du problème.

Descartes pensait que le tonnerre se manifeste lorsque des nuages placés plus haut dans l’atmosphère tombent sur d’autres situés plus bas. L’air contenu entre les deux nuages, étant comprimé par cette chute soudaine, produit, selon Descartes, un grand dégagement de chaleur, d’où résultent l’apparition de l’éclair et le bruit qui caractérisent le tonnerre.

Meilleur physicien que Descartes, l’illustre Boerhaave a émis, après ce philosophe, une théorie du tonnerre plus fortement raisonnée, sans être pour cela plus vraie. Pour expliquer la chaleur qui provoque l’apparition des éclairs, Boerhaave admettait que de petites masses d’eau congelées au sein des nuages ont la propriété de concentrer les rayons solaires. Ces petits amas de glace peuvent agir, selon Boerhaave, comme autant de lentilles convergentes, pour condenser en un point unique une quantité considérable de rayons solaires, et déterminer, en ce point, une élévation extrême de température.

Dans ses Notes sur le Cours de chimie de Lémery, le chimiste Baron expose en ces termes la théorie de Boerhaave, qu’il adopte sans réserve :

« Cet excellent physicien (Boerhaave), nous dit Baron, prouve d’une manière très-satisfaisante, dans ses Elementa chimica, que les particules d’eau que l’action du soleil avait élevées en l’air, venant à se réunir plusieurs ensemble sous la forme de nuées, composent des masses de glace qui réfléchissent la lumière du soleil par celle de leurs surfaces qui regarde cet astre, tandis que leur surface opposée éprouve un froid glacial. S’il arrive donc, comme cela se peut rencontrer souvent, que plusieurs nuées soient disposées les unes à l’égard des autres de façon qu’elles fassent l’effet de plusieurs miroirs con-

  1. Postremo, cur sancta Deum delubra, suasque
    Discutit infesto præclaras fulmine sedes,
    Et bene facta Deum frangit simulacra, suisque
    Demit imaginibus violento vulnere honorem ?

    (Lib. VI, vers. 416.)