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Ce phénomène météorologique a reçu différents noms chez les modernes : en France, c’est le feu Saint-Elme, en Italie le feu de Saint-Pierre, de Saint-Nicolas, etc. Personne n’ignore que ces aigrettes lumineuses sont de véritables et fortes étincelles électriques, tirées des nuages orageux par la pointe des mâts.

Plutarque cite de nombreux exemples de ces apparitions lumineuses ; nous ne rapporterons que la suivante :

« Au moment, dit Plutarque, où la flotte de Lysandre sortait du port de Lampsaque pour attaquer la flotte athénienne, les étoiles de Castor et de Pollux allèrent se placer des deux côtés de la galère de l’amiral lacédémonien. »

Les croyances, les mœurs, changent avec les siècles, mais les superstitions sont de tous les temps, et se transmettent, presque sans altération, d’âge en âge. Si l’on veut savoir comment les navigateurs au temps de Christophe Colomb envisageaient le phénomène dont nous parlons, il faut lire, dans l’ouvrage célèbre Vie de l’amiral, écrit par le fils de Christophe Colomb, ce curieux passage.

« Dans la nuit du samedi (octobre 1493, pendant le second voyage de Colomb), il tonnait et pleuvait très-fortement. Saint-Elme se montra alors sur le mât de perroquet avec sept cierges allumés, c’est-à-dire que l’on aperçut ces feux que les matelots croient être le corps du saint. Aussitôt, on entendit chanter sur le bâtiment force litanies et oraisons, car les gens de mer tiennent pour certain que le danger de la tempête est passé, dès que Saint-Elme paraît. »

Herrera nous apprend que les matelots de Magellan avaient la même superstition.

« Pendant les grandes tempêtes, dit-il, Saint-Elme se montrait au sommet du mât de perroquet, tantôt avec un cierge allumé, et tantôt avec deux. Ces apparitions étaient saluées par des acclamations et des larmes de joie. »

Le passage suivant emprunté aux Mémoires de Forbin, présente un autre exemple du même phénomène, avec des proportions extraordinaires :

« Pendant la nuit (en 1696, par le travers des Baléares), il se forma tout à coup un temps très-noir, accompagné d’éclairs et de tonnerres épouvantables. Dans la crainte d’une grande tourmente dont nous étions menacés, je fis serrer toutes les voiles. Nous vîmes sur le vaisseau plus de trente feux Saint-Elme. Il y en avait un, entre autres, sur le haut de la girouette du grand mât, qui avait plus d’un pied et demi (0m,50) de hauteur. J’envoyai un matelot pour le descendre. Quand cet homme fut en haut, il cria que ce feu faisait un bruit semblable à celui de la poudre qu’on allume, après l’avoir mouillée. Je lui ordonnai d’enlever la girouette et de venir ; mais à peine l’eut-il ôtée de place, que le feu la quitta et alla se poser sur le bout du mât, sans qu’il fût possible de l’en retirer. Il y resta assez longtemps, jusqu’à ce qu’il se consuma peu à peu. »

En parlant du feu Saint-Elme, dans sa Notice sur le tonnerre, Arago fait connaître sur ce sujet deux autres faits intéressants.

Fynes Moryson, secrétaire de lord Montjoy, rapporte, dit Arago, qu’au siège de Kingsale, le 23 décembre 1601, le ciel étant sillonné par des éclairs sans tonnerre, les cavaliers ou sentinelles virent des lampes qui semblaient brûler à la pointe de leurs lances et de leurs épées.

Le 25 janvier 1822, M. de Thielaw, se rendant à Freiberg, pendant une averse de neige, remarqua sur la route que les extrémités des branches de tous les arbres étaient lumineuses.

En Allemagne, la tour de Naumbourg était citée comme présentant souvent des feux Saint-Elme à son sommet. Au mois d’août 1768, Lichtenberg aperçut une flamme pareille sur le clocher de la tour Saint-Jacques à Gœttingue. Le 22 janvier 1728, pendant un violent orage accompagné de pluie et de grêle, M. Mongez remarqua des aigrettes lumineuses sur plusieurs sommités les plus élevées de la ville de Rouen.

En 1783, Sauvan publia que le 22 juillet, par une nuit orageuse, il avait aperçu, pendant trois quarts d’heure, une couronne de lumière autour de la voûte du clocher des Grands-Augustins à Avignon[1].

Deux naturalistes célèbres du xve siècle,

  1. Arago, Notice sur le tonnerre. Notices scientifiques, t. I, p. 152-154.