Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/537

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l’espace, devaient engager les observateurs à tenter d’obtenir des résultats plus brillants encore. Mais on ne pouvait, avec des barres métalliques plantées dans le sol, recueillir l’électricité aérienne qu’à une faible élévation. C’est alors que se présenta l’idée d’aller puiser l’électricité au plus haut de l’air, au moyen d’un corps léger armé d’une pointe, et retenu de terre au moyen d’un fil, c’est-à-dire l’idée du cerf-volant électrique.

Nous allons nous écarter beaucoup de l’opinion commune, en essayant de prouver que la première idée du cerf-volant électrique n’appartient pas à Franklin, comme on l’a toujours admis depuis un siècle ; mais qu’elle est due à un physicien français, à Romas, de Nérac.

Dans les classes élevées de la société du dernier siècle, on trouvait quelques hommes d’élite qui, préparés par une éducation supérieure, distingués par l’élévation de l’esprit et du caractère, se sentaient instinctivement attirés vers tout ce que l’intelligence humaine peut produire dans les régions diverses où elle s’exerce. Beaux-arts, littérature, sciences, rien n’était étranger aux membres de cette société élégante et polie. On voyait, dans ces cercles distingués, le spectacle intéressant de l’aristocratie de la naissance accueillant et recherchant l’aristocratie du mérite. Les savants étaient toujours sûrs d’y rencontrer des protecteurs généreux, quelquefois même des émules.

C’est un cénacle de ce genre qui existait, au milieu du xviiie siècle, dans la province de Guyenne. Le fondateur, l’arbitre de cette petite société bordelaise, était le chevalier de Vivens.

Littérateur brillant, agronome de premier ordre, versé dans les différentes branches de nos connaissances, le chevalier de Vivens, l’un des esprits les plus distingués de son temps, était éminemment digne de présider et de diriger les hommes d’élite dont il aimait à s’entourer, et que son hospitalité généreuse rassemblait d’habitude dans son château de Clairac. Dans ces assemblées familières, qui se tenaient sous les frais ombrages de Clairac, on trouvait réunis : Montesquieu, qui aimait à se délasser de ses hautes spéculations sur l’histoire des lois et de la philosophie, par la culture de l’histoire naturelle et de la physique ; — le baron de Secondat, son fils, à qui l’Académie de Bordeaux dut plusieurs mémoires scientifiques estimés ; — le docteur Raulin, qui fut médecin par quartier de Louis XV ; — les frères Dutilh, qui habitaient un château des environs de Nérac, gentilshommes instruits et particulièrement habiles dans les expériences de physique ; — les abbés Guasco et Venuti ; — enfin, de Romas, que ses fonctions de juge au présidial avaient fixé à Nérac, sa ville natale.

Après le chevalier de Vivens, le chef scientifique de cette docte assemblée, l’inspirateur de ses travaux modestes, était Romas, savant d’un mérite réel, et qui ne resta étranger à aucune branche de la physique. C’est grâce à la sagacité de Romas, et au concours du petit cénacle de ses nobles et savants amis, que les expériences commencées à Paris sur l’électricité atmosphérique, trouvèrent à Nérac un complément et une suite qui forment une des pages les plus brillantes de l’histoire de la physique moderne.

Les frères Dutilh secondèrent plus particulièrement Romas dans toutes ses expériences sur l’électricité, ou pour mieux dire, Mathieu Dutilh fut son collaborateur constant en ces sortes de travaux.

Mathieu Dutilh, seigneur et baron de la Tuque, né à Nérac en 1715, était, à 25 ans, avocat au parlement de Bordeaux. Ses relations avec Romas commencèrent en 1740, et continuèrent, sans interruption, jusqu’à la mort de ce dernier. Ces deux personnages travaillèrent avec la même ardeur aux belles expériences de physique que nous avons à raconter. C’est au château de la Tuque, qui appartenait à Mathieu Dutilh,