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que l’orage était assez animé, et il arriva que, lorsque le verre dont cet instrument est construit n’eut que deux pieds de long, je conduisis où je voulus, sans sentir à ma main la plus petite commotion, des lames de feu de six à sept pieds avec la même facilité que je conduisais des lames qui n’avaient que sept à huit pouces[1]. »

On voit, d’après cela, que, dans cette expérience, Romas déchargeait un nuage orageux, et donnait l’exemple extraordinaire d’un homme osant, de ses propres mains, détourner et diriger la foudre. L’intensité des phénomènes électriques produits dans cette dernière circonstance tenait à l’excessive longueur de la corde du cerf-volant, qui n’avait pas moins de 520 mètres de longueur.

Pour manœuvrer plus commodément un cerf-volant muni d’une telle longueur de corde, Romas avait imaginé une petite machine portée sur un chariot mobile, à l’aide de laquelle il déroulait la corde, sans avoir besoin d’y toucher. Il remplaça aussi, à la même époque, l’excitateur à manche de verre par un instrument d’un nouveau genre, consistant en un fil métallique attaché à la corde du cerf-volant, et que l’on manœuvrait de loin à l’aide d’un cordon de soie ; mais il revint ensuite à la première disposition.

Ces expériences étonnantes sur l’électricité atmosphérique, Romas les exécutait presque toujours en présence des curieux et aux portes de la ville. La population de Nérac, qu’impressionnaient fortement ces effrayantes scènes, avait fini par éprouver une sorte de terreur superstitieuse en présence de l’homme qui osait jouer ainsi avec le plus terrible des météores, et grâce aux préjugés du temps, l’assesseur au présidial passait à Nérac pour un sorcier.

Ce fâcheux renom s’était étendu jusqu’à Bordeaux, et Romas faillit en être victime. En 1759, il s’était rendu dans cette ville, pour répéter son expérience du cerf-volant électrique, en présence de M. de Tourny, le célèbre intendant de la province de Guyenne. Le jardin public fut choisi comme le lieu le plus convenable pour lancer le cerf-volant, qui fut déposé provisoirement, et en attendant un jour d’orage, chez un cafetier logé dans les bâtiments de la terrasse du jardin.

Par malheur, la foudre vint inopinément à tomber sur ces bâtiments. La clameur publique ne manqua pas dès lors, d’accuser le cerf-volant du physicien de Nérac d’avoir attiré le tonnerre. Le peuple se rassembla en tumulte devant le café, menaçant de tout saccager. Le maître de la maison, pour donner satisfaction aux mécontents, se hâta de jeter hors de chez lui l’innocente machine, que la multitude eut bientôt mise en pièces. L’expérience projetée ne put donc avoir lieu.

Depuis ce jour, lorsque Romas passait dans les rues de Bordeaux, on s’écartait à son approche, et on se montrait du doigt le magistrat audacieux qui tenait d’une puissance occulte le secret de faire tomber la foudre.



CHAPITRE VI

cerf-volant électrique de franklin aux états-unis. — parallèle des expériences de franklin et de romas.

Arrivons maintenant à l’expérience faite avec un cerf-volant électrique, par Franklin, à Philadelphie, expérience qui eut lieu antérieurement à celle de Romas, mais que l’ordre de notre récit nous a obligé de renvoyer ici.

C’est au mois de janvier 1753, que l’Académie des sciences de Paris fut informée, par une lettre du physicien Watson, de l’expérience du cerf-volant électrique, qui venait d’être exécutée par l’électricien des États-Unis. Voici le texte de la lettre de Watson, datée de Londres le 15 janvier 1753, et adressée à l’abbé Nollet :

  1. Mémoires de mathématiques et de physique présentés à l’Académie royale des sciences par divers savants, t. IV, p. 514.