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En Angleterre, ce fut une cause politique qui éleva des obstacles à la propagation des paratonnerres ; en France, les motifs furent purement scientifiques.

À l’époque où l’établissement du paratonnerre fut proposé comme conséquence et application pratique des travaux de Franklin, une guerre acharnée existait entre l’Angleterre et ses colonies d’Amérique, qui combattaient avec gloire, pour conquérir leur indépendance, et briser le joug de la tyrannie britannique. Le roi d’Angleterre, George III, avait inutilement épuisé toutes les forces de ses États, et fait couler des torrents de sang, pour retenir un pouvoir qui échappait à ses mains. Ni les trésors du royaume prodigués pendant une longue suite d’années, ni des milliers de marins et de soldats sacrifiés à la défense d’une cause injuste, ne purent faire obstacle à l’accomplissement d’un acte arrêté dans les desseins de la Providence, et empêcher un peuple nouveau et plein de loyales ardeurs, de conquérir sa liberté sur les champs de bataille.

Quand tout espoir de réussite fut perdu à la cour d’Angleterre ; quand il fallut se résoudre enfin à voir une nation s’élever, puissante et libre, loin des entraves de la métropole européenne, l’esprit haineux et vindicatif de George III passa des champs de bataille et des conseils diplomatiques dans le domaine des sciences, asile si étranger, par sa nature, aux contestations entre les peuples et les rois. Pendant la longue et mémorable lutte soutenue par les colonies insurgées, Franklin avait été l’agent utile, le représentant fidèle, le conseiller, toujours bien inspiré, du peuple américain. Il était impossible qu’une découverte scientifique due à un adversaire politique de l’Angleterre fût accueillie favorablement chez cette dernière nation.

Il était pourtant difficile, à moins de nier l’évidence, de contester l’utilité des paratonnerres pour défendre la vie des hommes, et préserver les édifices menacés par le feu du ciel. Ne pouvant s’en prendre au fond même de la matière, on s’attaqua à la forme. Selon Franklin, les paratonnerres devaient être terminés en pointe, et en une pointe très-aiguë. Sous l’inspiration de la cour d’Angleterre, Wilson, et avec lui, la plupart des savants de ce pays, décidèrent que Franklin avait tort, que les paratonnerres à tige pointue étaient les plus dangereux des appareils, et qu’au lieu de les terminer en pointe, il fallait les munir à leur extrémité, d’une boule ou d’un globe. Les paratonnerres en boule furent donc déclarés les seuls efficaces, et les recueils scientifiques anglais s’enrichirent de plusieurs mémoires où ce point était compendieusement établi.

Afin que personne n’en ignorât, le roi George avait même fait élever sur son propre palais, plusieurs paratonnerres en boule, et l’amour-propre national se trouva ainsi comme engagé à soutenir une thèse scientifique placée sous l’égide du roi.

La discussion entre les physiciens anglais et ceux du reste de l’Europe, au sujet des paratonnerres en boule, se prolongea longtemps. Il fallut, pour la terminer, que le physicien piémontais Beccaria fît sur ce point des expériences spéciales. Élevant, à peu de distance l’un de l’autre, deux paratonnerres, l’un en pointe et l’autre en boule, munis chacun de leur conducteur, Beccaria démontra que, sous l’influence de la même électricité aérienne, le conducteur du paratonnerre à tige pointue donnait des étincelles quand on pratiquait, d’une manière convenable, une légère solution dans sa continuité ; tandis que, disposé de la même manière, le paratonnerre en boule ne donnait que de très-faibles manifestations électriques.

À partir de ce moment, il ne fut plus question des paratonnerres en boule.

Ainsi se termina ce singulier procès, dans lequel le roi George III avait pris, en haine de Franklin, une part active, et où les savants an-