Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/569

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ces feux redoutables qui enflamment l’atmosphère et des foudres qui menacent nos têtes. »

Il semble, d’après cela, que Nollet, heureux de cette découverte qui dévoile, en effet, l’une des lois les plus importantes de la nature, va se rallier à l’opinion de Franklin, et reconnaître, avec lui, qu’une pointe élevée vers les nuages orageux, donnant à la masse d’électricité contenue dans le sol un écoulement facile et constant, permet d’aller neutraliser, au sein du nuage, le fluide électrique. Loin de là ! Nollet admet la présence de l’électricité dans les nuées orageuses, et la nature électrique de la foudre ; mais il nie, d’une manière absolue, que le paratonnerre ait la puissance d’agir sur ces masses électrisées. Il reproduit ici le sentiment, et presque les paroles du vulgaire, qui ne peut comprendre que de simples pointes élevées en l’air, aient la vertu de conjurer les orages. Il voit une trop grande disproportion entre l’effet et la cause, et, tout physicien qu’il est, il raisonne comme les ignorants, en répondant que, si les paratonnerres sont utiles, les clochers, les arbres, et tout corps pointu qui est dressé en l’air, doivent exercer une action analogue :

« L’expérience de Marly-la-Ville, dit-il, apprend donc à notre siècle, et à ceux qui le suivront, que le tonnerre et l’électricité sont deux effets qui procèdent du même principe, puisque le fer isolé et exposé en plein air, lorsqu’il tonne, devient par là en état de représenter tous les phénomènes qu’il a coutume de faire voir, lorsque nous l’électrisons par le moyen des verres frottés. Mais croyez-vous, Monsieur, que ce fait mémorable signifie autre chose ? Êtes-vous bien sérieusement persuadé que le tonnerre soit maintenant au pouvoir des hommes, comme on nous l’assure, que nous puissions le dissiper à volonté, et qu’une verge de fer pointue, telle que vous nous l’avez indiquée, telle qu’on l’a employée, suffise pour décharger entièrement de tout son feu la nuée orageuse vis-à-vis de laquelle on la dresse ? Pour moi, je vous l’avoue sans façon, je n’en crois rien : premièrement parce que je vois une trop grande disproportion entre l’effet et la cause ; secondement parce que le principe sur lequel on s’appuie pour nous le faire croire, ne me paraît pas solidement établi.

« En effet, quelle apparence y a-t-il que la matière fulminante, contenue dans un nuage capable de couvrir une grande ville, se filtre dans l’espace de quelques minutes, par une aiguille grosse comme le doigt, ou par un fil de métal qui servirait à la prolonger ! À quiconque aurait assez de crédulité pour se prêter à une pareille idée, ne pourrait-on pas proposer aussi d’ajuster de petits tubes le long des torrents pour prévenir les désordres de l’inondation ? S’il ne fallait que des corps pointus et éminents pour nous garantir des coups de tonnerre, les flèches des clochers ne suffiraient-elles pas pour nous procurer cet avantage ? Car, outre que la plupart ont une croix dont les bras sont presque toujours terminés en pointe, ce que l’on met au bout est si peu de chose, par rapport à la grandeur des objets, que ces édifices sont plus pointus vis-à-vis d’un nuage, qu’une aiguille à coudre ne peut l’être à l’égard d’une barre de fer électrisée. Cependant on sait de tout temps que la foudre ne les respecte guère, non plus que la cime la plus aiguë des montagnes, feriunt… summos fulmina montes. »

Cette objection de Nollet est sans aucun fondement. Les clochers, les arbres et les toits pointus, ne peuvent fonctionner comme paratonnerres, parce qu’ils ne sont pas pourvus de conducteurs métalliques, pouvant donner passage à l’électricité empruntée au sol. Ils ne peuvent agir, au contraire, qu’en attirant la foudre, et l’expérience prouve bien, en effet, que le tonnerre frappe de préférence les corps pointus dressés en l’air.

Nollet commence alors à discuter l’action protectrice du paratonnerre. Il prétend qu’il est indifférent de le munir ou non d’une pointe ; qu’une barre de fer coupée carrément agirait de la même manière, et qu’on peut, à volonté, lui assigner une position horizontale ou verticale.

« Mais si, dit-il, malgré ces raisons, la pointe électrisée le 10 mai à Marly-la-Ville, a pu autoriser et confirmer en quelque façon les esprits prévenus, dans l’espérance trop flatteuse qu’ils avaient conçue de soutirer le feu du tonnerre jusqu’à l’épuiser, ce qui se passa peu de jours après à Saint-Germain-en-Laye et en quantité d’autres endroits depuis, n’aurait-il pas dû les désabuser, et leur montrer que le pouvoir des pointes a bien peu de part à ces effets ? Quand il plaira aux physiciens qui se sont trouvés à portée de revoir le fait, de l’examiner dans ses différentes circonstances, et d’en peser la juste valeur ; quand il leur plaira, dis-je, de publier leurs décou-