Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/570

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vertes, et d’exposer en détail ce qu’ils n’ont pu faire encore que sommairement, pour empêcher les progrès de l’illusion, vous verrez que la grandeur, la figure, la situation du fer, ne sont point des choses essentielles, et dont dépende absolument le succès de ces expériences ; vous verrez qu’une verge, une barre de fer pointue ou coupée carrément par les bouts, posée verticalement ou dans un plan horizontal, reçoit également l’électricité qui règne dans l’air lorsqu’il tonne, et même souvent lorsqu’il ne tonne pas ; vous verrez que ce n’est point un privilége attaché au fer ; que l’eau, le bois, les animaux, et généralement tous les corps électrisables, acquièrent pareillement cette vertu, et qu’il n’est pas nécessaire pour cela de les porter au plus haut des édifices, quoiqu’on réussisse mieux dans les endroits élevés et isolés. Toutes ces vérités sont aujourd’hui de notoriété publique. »

Ces dernières assertions que Nollet appelle « des vérités de notoriété publique », ne résultaient que de faits mal observés.

Nous ne pousserons pas plus loin ces citations qui mettent suffisamment en évidence les sentiments de l’abbé Nollet sur le paratonnerre. Disons seulement que, dès sa première lettre, il expose plus sommairement la même opinion. Il déplore l’erreur commise à ce sujet par Franklin. En considération des services incontestables rendus à l’électricité par le physicien de Philadelphie, il voudrait « que l’on pût oublier à jamais que M. Franklin a pu donner dans ce petit écart [1] ».

La postérité, nous le croyons, verra dans cette opinion, dans « ce petit écart de M. Franklin », le grand écart de M. l’abbé Nollet.

C’est sur la foi de Nollet que plusieurs physiciens, après l’année 1754, date de la publication de ses premières Lettres, se sont élevés, en France, contre la vertu des paratonnerres. Nous ne citerons qu’un seul de ces opposants, mais qui est bien digne de cette mention spéciale, puisque, dans son ardeur à proscrire l’appareil de Franklin, il allait jusqu’à demander qu’un règlement de police empêchât à l’avenir de terminer les édifices par une forme pointue, mais prescrivît, au contraire, de leur donner toujours des surfaces convexes. Dans son zèle antifrankliniste, il voulait même qu’il fût défendu de planter des arbres de haute tige aux environs des habitations. Cet ennemi des jardins était l’abbé Poncelet, auteur d’un traité spécial intitulé : La nature dans la formation du tonnerre. Voici comment il s’exprime à ce sujet :

« Quand on annonça, il y a quelques années, dit l’abbé Poncelet, la propriété des pointes, je me souviens qu’on vit alors quantité de gens qui s’imaginaient que c’était là le grand, le vrai, l’unique moyen d’éviter les accidents fâcheux, qui suivent ou accompagnent quelquefois le tonnerre. J’entendis même en ce temps-là plusieurs personnes qui, se croyant fort instruites, soutenaient opiniâtrément que, si l’on avait essuyé très-peu d’orages en 1751 et 1752, on en était redevable à trois ou quatre barres métalliques, élevées dans autant de quartiers de Paris. Hélas ! en raisonnant de la sorte, que l’on était éloigné de compte ! Les pointes, il est vrai, attirent le phlogistique de la nuée, elles le dissipent même en partie ; mais quelle proportion peut-il y avoir entre une masse quelquefois d’une demi-lieue et plus de long, d’autant de large, et peut-être de cent toises de profondeur, avec une petite barre de fer de six pieds de long, sur six lignes d’épaisseur ? C’est comme si je voyais un charlatan muni d’un vase contenant environ une pinte, entreprendre de vider l’immense bassin de l’Océan, pour passer à pied sec en Angleterre. Je vais plus loin, et je prétends qu’en multipliant les barres, on court risque de produire un effet tout contraire à celui que l’on se propose. Car enfin, en cherchant ainsi à attirer le phlogistique, il peut tomber en si grande quantité, dans les lieux où seront posées ces barres, qu’il résultera de cette chute les orages les plus étranges et les plus inévitables. Et n’est-ce pas ce que l’on a vu arriver cent et cent fois aux clochers terminés en flèche ? Bien loin donc d’avoir recours à cette sorte de moyen pour éviter le tonnerre, je voudrais au contraire, que l’on fît un règlement de police par lequel il serait défendu de faire désormais des constructions de cette espèce. Conséquemment tous les édifices un peu élevés seraient terminés par des formes convexes ou approchantes, ou tout au moins présenteraient de très-larges surfaces. Par la même raison, je voudrais qu’il fût défendu de planter des arbres de haute tige aux environs et à la proximité des habitations. J’en atteste encore sur cela l’expérience, qui nous apprend que les arbres fort élevés font la fonction de pointes, et attirent fréquemment le tonnerre [2]. »

  1. Lettres sur l’électricité, dans lesquelles on examine les découvertes qui ont été faites sur cette matière depuis l’année 1752. 1re  partie, lettre 1re .
  2. La nature dans la formation du tonnerre, et la reproduction des êtres vivants, pour servir d’introduction aux vrais principes de l’agriculture, 1766, pages 116-118.