Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/610

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sur une table sur laquelle se trouvait une machine électrique. La grenouille n’était aucunement en contact avec le conducteur de la machine ; elle en était même distante d’un assez long intervalle. Un de mes aides vint à approcher par hasard la pointe d’un scalpel des nerfs cruraux internes de cette grenouille et les toucha légèrement, et tout aussitôt tous les muscles des membres inférieurs se contractèrent, comme s’ils avaient été subitement pris de convulsions tétaniques violentes. Cependant une personne qui était là présente pendant que nous faisions des expériences avec la machine électrique, crut remarquer que le phénomène ne se produisait que lorsque l’on tirait une étincelle du conducteur. Émerveillée de la nouveauté du fait, elle vint aussitôt m’en faire part. J’étais alors préoccupé de toute autre chose ; mais pour de semblables recherches mon zèle est sans bornes, et je voulus aussitôt répéter par moi-même l’expérience et mettre au jour ce qu’elle pouvait présenter d’obscur. J’approchai donc moi-même la pointe de mon scalpel tantôt de l’un, tantôt de l’autre des nerfs cruraux, tandis que l’une des personnes présentes tirait des étincelles de la machine. Le phénomène se produisit exactement de la même manière : au moment même où l’étincelle jaillissait, des contractions violentes se manifestaient dans chacun des muscles de la jambe, absolument comme si ma grenouille préparée avait été prise de tétanos[1]. »

Il résulte bien évidemment de ce récit de Galvani, que ce n’était pas pour la première fois qu’il se livrait à des recherches physiologiques sur les grenouilles. Il existe d’ailleurs une preuve irrécusable qui fixe l’époque exacte à laquelle Galvani commença ses expériences sur les grenouilles. On trouve dans un registre signé par Canterzani, secrétaire de l’Académie de Bologne, la note suivante relative aux dates des mémoires que Galvani avait communiqués à cette Académie :

« 9 avril 1772, Sur l’irritabilité hallérienne.

« 22 avril 1773, Sur les mouvements musculaires des grenouilles.

« 20 janvier 1774, Sur l’action de l’opium sur les nerfs des grenouilles. »

Ainsi, lorsque Galvani fit l’observation rapportée plus haut, de l’action de l’étincelle électrique sur les nerfs cruraux de la grenouille, il faisait usage depuis sept ans, de grenouilles préparées de cette manière. On a retrouvé parmi ses manuscrits, le cahier qui contient ses premières expériences faites en 1780 sur les contractions des grenouilles excitées par l’électricité. En décrivant la première expérience que nous venons de rapporter, Galvani écrit : La grenouille était préparée comme à l’ordinaire (alla solita maniera). Ce n’était donc point par hasard, ni pour la première fois, qu’il fit, en 1780, l’observation capitale dont il s’agit.

L’anecdote du bouillon aux grenouilles préparé par la cuisinière de madame Galvani pour un rhume de son mari, qui a été répétée par une foule d’écrivains, parmi lesquels figurent les plus sérieux et les plus recommandables de nos auteurs, tels que Alibert dans son Éloge historique de Galvani, et Arago dans son Éloge historique de Volta, n’est donc qu’une fable.

Le phénomène qui avait si fort émerveillé Galvani et ses amis, bien qu’il n’eût jamais été observé jusque-là, était assez simple en lui-même. C’était un résultat de ce que l’on désigne en physique, sous le nom de choc électrique en retour, et dont les effets s’obser-

  1. « Res autem ab hujus modi profecta initio est. Ranam dissecui atque præparavi ut in fig. 2, eamque in tabulâ, omnia mihi alia proponens, in quâ erat machina electrica, collocavi, ab ejus conductore penitus sejunctam atque haud brevi intervallo dissitam. Dum scalpelli cuspidem unus ex iis qui mihi operam dabant cruralibus hujus ranæ internis nervis casu vel leviter admoverit, continuo omnes artuum musculi ita contrahi visi sunt, ut in vehementiores incidisse tonicas convulsiones viderentur. Eorum vero alter, qui nobis electricitatem tentantibus præsto erat, animadvertere sibi visus est rem contingere, dum ex conductore machinæ scintilla extorqueretur. Rei novitatem ille admiratus, de eâdem statim me, alia omninò molientem ac mecum ipso cogitantem, admonuit. Hic ego incredibili sum studio et cupiditate incensus sum idem experiendi, et quod occultum in re esset in lucem proferendi. Admovi propterea et ipse scalpelli cuspidem uni vel alteri crurali nervo, quo tempore unus ex iis qui aderant scintillam eliceret. Phænomenon eâdem omnino ratione contigit : vehementes contractiones in singulos artuum musculos, perinde ac si tetano præparatum animal esset correptum, eodem ipso temporis momento inducebantur quo educebantur scintillæ. »

    (Aloysii Galvani De viribus electricitatis in motu musculari Commentarius. — De Bononiensis scientiarum et artium Instituto et Academiâ Commentarii, 1790, t. VII, p. 363.)