Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/629

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conque excitée par aucun des moyens connus jusqu’ici ; agissant sans cesse et sans relâche, capable enfin de donner à tous moments des commotions plus ou moins fortes, selon les circonstances, des commotions qui redoublent à chaque attouchement, et qui, répétées ainsi avec fréquence ou continuées pendant un certain temps, produisent ce même engourdissement des membres que fait éprourer la torpille, etc. ?

« Je vais donner ici une description plus détaillée de cet appareil et de quelques autres analogues, aussi bien que des expériences y relatives les plus remarquables.

« Je me fournis de quelques douzaines de petites plaques rondes ou disques de cuivre, de laiton, ou mieux d’argent, d’un pouce de diamètre, plus ou moins (par exemple des monnaies), et d’un nombre égal de plaques d’étain, ou, ce qui est beaucoup mieux, de zinc de la même figure et grandeur, à peu près : — je dis à peu près, parce que la précision n’est pas requise, et en général la grandeur aussi bien que la figure des pièces métalliques est arbitraire ; on doit avoir égard seulement qu’on puisse les arranger commodément les unes sur les unes sur les autres en forme de colonne. Je prépare, en outre, un nombre assez grand de rouelles de carton, de peau ou de quelque autre matière spongieuse, capable d’imbiber et de retenir beaucoup d’eau ou de l’humeur dont il faudra pour le succès des expériences qu’elles soient bien trempées. Ces tranches ou rouelles, que j’appellerai disques mouillés, je les fais un peu plus petits que les disques ou plateaux métalliques, afin qu’interposés à ceux-ci de la manière que je dirai bientôt, ils n’en débordent pas.

« Ayant sous ma main toutes ces pièces en bon état, c’est-à-dire les disques métalliques bien propres et secs, et les autres non métalliques bien imbibés d’eau simple, ou, ce qui est beaucoup mieux, d’eau salée, et essuyés ensuite légèrement pour que l’humeur n’en dégoutte pas, je n’ai plus qu’à les arranger comme il convient, et cet arrangement est simple et facile.

« Je pose donc horizontalement sur une table ou base quelconque, un des plateaux métalliques, par exemple un d’argent, et sur ce premier j’en adapte un de zinc ; sur ce second je couche un des disques mouillés, puis un autre plateau d’argent, suivi immédiatement d’un autre de zinc, auquel je fais succéder encore un disque mouillé. Je continue ainsi de la même façon, accouplant un plateau d’argent avec un de zinc, et toujours dans le même sens, c’est-à-dire toujours l’argent dessous et le zinc dessus, ou vice versâ selon que j’ai commencé, et interposant à chacun de ces couples un disque mouillé : je continue, dis-je, à former de ces étages une colonne aussi haute qu’elle peut se soutenir sans s’écrouler.

« Or, si elle parvient à contenir environ vingt de ces étages ou couples de métaux, elle sera déjà capable, non-seulement de faire donner des signes à l’électromètre de Cavallo, aidé du condensateur au delà de dix ou quinze degrés, de charger ce condensateur au point de lui faire donner une étincelle, etc., mais aussi de frapper les doigts avec lesquels on vient toucher ses deux extrémités (la tête et le pied d’une telle colonne), d’un ou plusieurs petits coups, et plus ou moins fréquents, selon qu’on réitère ces contacts ; chacun desquels corps ressemble parfaitement à cette légère commotion que fait éprouver une bouteille de Leyde faiblement chargée, ou une batterie chargée plus faiblement encore, ou enfin une torpille extrêmement languissante, qui imite encore mieux les effets de mon appareil par la suite des coups répétés qu’elle peut donner sans cesse. »

La dernière partie de cette lettre de Volta au président de la Société royale de Londres contient la description d’une nouvelle disposition de la pile, celle qui a reçu le nom d’appareil à couronne de tasses, avec quelques détails sur les sensations produites par cet appareil dans les organes du toucher, de la vue, de l’ouïe et du goût. Volta indiquait en même temps les précautions minutieuses qu’il fallait prendre pour communiquer à une chaîne formée de deux ou plusieurs personnes, la commotion électrique ; car l’inventeur considérait surtout cet instrument comme propre à remplacer, dans ce dernier but, les batteries formées de bouteilles de Leyde.

« Tous les faits que j’ai rapportés dans ce long écrit, touchant l’action que le fluide électrique, incité et mû par mon appareil, exerce sur les différentes parties du corps que son courant envahit et traverse… tous ces faits, déjà assez nombreux et d’autres qu’on pourra encore découvrir, en multipliant et variant les expériences de ce genre, vont ouvrir un champ assez vaste de réflexions, et des vues non-seulement curieuses, mais intéressant particulièrement la médecine. Il y en aura pour occuper l’anatomiste, le physiologiste et le praticien[1]. »

Les réflexions se pressent en foule à la lecture de cette lettre de l’inventeur de la pile ; et, n’hésitons pas à le dire, elles ne sont pas toutes en faveur du génie de Volta.

  1. Alex. Volta, Letter to sir J. Banks, loc. cit., p. 429.