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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1.djvu/66

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Le même fait est confirmé par une lettre, datée du 20 octobre 1707, adressée à Leibnitz par un certain Hattenbach, et qui contient ces deux lignes : « Le pauvre Papin a été obligé de laisser son bateau à Münden, n’ayant jamais pu obtenir de l’amener. »

On est saisi d’un profond sentiment de compassion quand on se représente l’infortuné vieillard, privé des moyens sur lesquels il avait fondé toutes ses espérances, sans ressources, presque sans asile, et ne sachant plus en quel coin de l’Europe il irait cacher ses derniers jours. Il n’osait revenir sur ses pas, et rentrer à Marbourg, dans cette université qu’il avait volontairement abandonnée. D’un autre côté, il ne pouvait songer à la France. Plus que jamais l’accès de sa patrie lui était fermé, car l’intolérance religieuse, dont les excès ont déshonoré les dernières années du règne de Louis XIV, continuait à y déployer ses fureurs.

Mais l’Angleterre avait été pour lui une autre patrie. C’est là que la fortune avait souri un moment aux efforts de sa jeunesse. Les encouragements et l’appui qu’il avait rencontrés auprès de l’illustre Robert Boyle, les relations qu’il avait formées avec les membres de la Société royale de Londres, vivaient au nombre des plus doux souvenirs de son cœur. Il prit donc la résolution de continuer sa route vers l’Angleterre. Il voulut mourir sur le sol hospitalier où avaient fleuri les quelques jours heureux de son existence.

Faible et malade, il s’achemina tristement vers ce dernier asile de sa vieillesse. Mais, dans le long intervalle de son absence, ses amis avaient eu le temps de l’oublier. Robert Boyle était mort, et le nom de Papin était presque inconnu des nouveaux membres de la compagnie. Pour subvenir à ses besoins, il fut contraint de se remettre à la solde de la Société royale. Le grand inventeur dont notre siècle glorifie la mémoire, se trouva dès ce moment, et jusqu’aux derniers jours de sa vie, réduit à un état voisin de la misère. Il fut contraint, faute de ressources suffisantes, de renoncer à poursuivre les expériences de son bateau à vapeur. « Je suis maintenant obligé, dit-il dans une de ses lettres, de mettre mes machines dans le coin de ma pauvre cheminée. »

En effet, cette ardeur d’invention et de recherches, qui avait été comme l’aliment de son existence, persistait encore dans l’âme du noble vieillard ; c’était le dernier lien qui le rattachait à la vie. Il était sans cesse occupé à combiner de nouvelles machines, pour l’exécution desquelles il réclamait, trop souvent en vain, les secours de la Société royale.

Le secrétaire de la Société, M. Sloane, lui avait demandé compte d’une petite somme qu’on lui avait remise, et Papin lui écrivit pour indiquer l’emploi que cet argent avait reçu :

« Puisque vous désirez, très-honoré Monsieur, un compte rendu de ce que j’ai fait pour la Société royale depuis que j’ai reçu quelque argent, afin que vous puissiez mieux juger ce qu’il est convenable de me donner maintenant, j’ai déposé sur ce papier ce que j’estime le plus important. Mais, avant tout, je dois vous prier de vous souvenir que vous devez vous mettre à ma place sans restriction, afin que je sois payé selon ce que j’ai mérité, et ayant déjà dans la tête plus de travail de cette nature que je n’en pourrai faire dans le reste de ma vie, j’ai résolu de négliger tous les autres moyens de pourvoir à ma subsistance, étant persuadé qu’il ne peut y avoir de meilleure occupation que de travailler pour la Société royale, puisque c’est la même chose que de travailler pour le bien public. Je vous en prie, Monsieur, permettez-moi d’ajouter ici que, dans l’Académie royale de Paris, il y a trois pensionnaires pour la mécanique qui ont chacun un très-bon salaire annuel, et, en outre, qu’il y a d’habiles ouvriers de toutes sortes, payés par le roi, qui sont prêts en tout temps à exécuter tout ce que ces pensionnaires commandent. Prenez, s’il vous plaît, les Mémoires de l’Académie royale des sciences, et voyez ce que ces trois pensionnaires font chaque année, et comparez-le avec ce que j’ai fait depuis sept mois ; j’espère que vous trouverez que j’ai raison de dire que j’ai fait autant qu’on peut attendre du plus honnête homme avec ma petite capacité et ma pénurie d’argent[1]. »

Il est triste de voir le pauvre proscrit contraint d’invoquer des secours étrangers pour

  1. Lettres inédites de Papin, publiées par M. Bunsen, professeur de physique à Marbourg.