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chine de Newcomen. Bientôt, grâce au système établi par Boulton pour l’exécution des différentes pièces mécaniques, plusieurs machines à feu, destinées à l’épuisement des mines, se trouvèrent construites et prêtes à fonctionner.

C’est alors que l’on fut témoin, en Angleterre, d’un phénomène industriel qui probablement ne se reproduira jamais, et qui faisait également honneur à l’audace du spéculateur et au génie du mécanicien. Boulton et Watt ne vendaient pas leurs machines, ils les donnaient à qui voulait les prendre. Ils se chargeaient même de les monter et de les entretenir à leurs frais. Quant aux anciennes machines de Newcomen, on les reprenait à un prix bien au-dessus de leur valeur.

Boulton avança de cette manière jusqu’à 47 000 livres sterling (1 175 000 fr.) avant de songer à effectuer une seule rentrée. Toute la redevance qu’il réclamait des propriétaires des mines, c’était le tiers de la somme annuellement économisée sur le combustible.

Les propriétaires de mines ne pouvaient hésiter en présence de telles conditions. Les machines de Watt commencèrent à être adoptées dans le Cornouailles, où le prix du charbon les rendait doublement précieuses. Elles se répandirent de là dans la plupart des comtés houillers de l’Angleterre, et les associés commencèrent à réaliser d’importants bénéfices.

En effet, la combinaison imaginée par Boulton, avec toutes les apparences d’une générosité exemplaire, avait pour résultat de porter le prix des machines à un taux exorbitant. On en jugera par un exemple. Dans les mines de Chacewater, où l’on employait trois pompes à feu, les propriétaires payaient annuellement à Boulton et Watt, pour le tiers du combustible économisé, la somme de 60 000 francs[1].

Les propriétaires de mines, qui d’abord avaient accepté cette combinaison avec reconnaissance, ne purent se résigner longtemps à voir les associés toucher des droits si considérables. On mettait de jour en jour plus de répugnance à s’acquitter, et bientôt des procès nombreux vinrent menacer sérieusement le sort de l’entreprise de Boulton.

On s’appuyait sur de prétendus perfectionnements apportés aux appareils de Watt, pour se déclarer affranchis de toute redevance. On allait fouiller les bibliothèques pour y découvrir des titres d’antériorité contre lui et demander la déchéance de ses brevets.

Le grand argument consistait à prétendre que Watt avait été bien suffisamment rétribué de ses peines, pour un homme qui, en fin de compte, n’avait inventé que des idées. C’est ce qui amena devant le tribunal cette apostrophe d’un avocat : « Allez, Messieurs, allez vous frotter à ces prétendues idées abstraites, à ces combinaisons intangibles, ainsi qu’il vous plaît d’appeler nos machines ; elles vous écraseront comme des mouches, elles vous lanceront dans les airs à perte de vue ! »

Cependant l’imperfection que présentait à cette époque la loi anglaise concernant les

  1. « Afin d’obtenir, dit Robert Stuart, des données positives pour l’évaluation de cette espèce de tribut, une série d’expériences fut entreprise par des hommes d’une habileté et d’une probité reconnues. Étant donnés la profondeur de la mine, le diamètre des corps de pompe et le nombre des coups de piston avec une machine quelconque, ordinaire ou perfectionnée, il ne leur restait plus qu’à apprécier l’économie de combustible pendant un certain nombre de coups de piston, et ce prix devenait la base sur laquelle ils établissaient leurs calculs. Pour compter le nombre des coups de piston, on adapta au balancier un petit appareil consistant en un système de roues enfermées dans une boîte disposée de façon que chacun des mouvements ascendants ou descendants du balancier faisait avancer d’un pas les petites roues, ainsi qu’un petit index qui indiquait cette progression. Ce petit appareil s’appelait le compteur. Deux clefs seulement pouvaient l’ouvrir, dont l’une restait entre les mains des propriétaires de la machine, l’autre dans celles de MM. Watt et Boulton, qui avaient un commis-voyageur chargé de reconnaître de temps à autre la situation des choses. On ouvrait en présence des deux parties les compteurs, et le tribut à prélever se trouvait déterminé par le nombre des coups de piston donnés. Ce prélèvement annuel, toutefois, pouvait être racheté par le payement d’une somme une fois donnée, égale au produit de dix années. Il y avait différentes manières de disposer le compteur et de le faire marcher. » (Histoire descriptive de la machine à vapeur, p. 190.)