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brevets, laissait une large prise à la mauvaise foi et à la fraude. Il régnait, en outre, dans l’esprit des juges, beaucoup de préventions et de défiance contre les brevetés. Leurs Seigneuries déployaient un zèle et une ardeur infatigables pour découvrir des vices de forme dans les brevets de James Watt, et pour chercher dans le texte d’anciennes lois des dispositions opposées à son privilége.

Aussi, en dépit de l’évidence de leurs droits, Watt et Boulton furent-ils battus en cours de justice.

Cet échec était grave : il redoublait l’audace et les prétentions des plagiaires. Des capitalistes qui n’auraient pas osé enfreindre ouvertement les brevets de Watt, encouragés par ce premier succès, s’employaient activement à faire délivrer à des hommes sans crédit des brevets nouveaux spécifiant quelque modification insignifiante ; puis, armés de ces pièces suspectes, ils venaient battre en brèche, devant le tribunal, les réclamations des associés.

De pareilles difficultés, chaque jour renaissantes, et qui devenaient de plus en plus compliquées, auraient été de nature à déconcerter un autre homme que Watt. Mais il était sorti vainqueur, durant sa vie, de combats plus difficiles ; il ne recula pas devant ces luttes nouvelles. Il se décida à abandonner pour quelque temps la surveillance de ses ateliers, et se rendit à Londres, pour y mener, au milieu des gens d’affaires et des hommes de justice, l’existence agitée du plaideur. Pendant huit années consécutives, le génie du grand mécanicien fut détourné de sa voie naturelle, et dans ce long intervalle, il eut le temps de devenir un légiste accompli.

Le succès vint enfin couronner ses efforts, mais l’heure de la justice avait été longue à sonner. Ce ne fut qu’en 1799, trente-cinq ans après ses premières découvertes, que, libéré définitivement par une décision de la cour du roi, il fut remis en possession entière de son privilége. Seulement, comme le terme de son brevet expirait l’année suivante, cette satisfaction était presque dérisoire.

C’est ce qui faisait dire gaiement à James Watt, qu’il se félicitait d’habiter un pays dans lequel il ne faut que trente-cinq ans de discussion et une douzaine de procès pour assurer à un citoyen la récompense de son travail.

Vers l’année 1776, à peu près déchargé du trop long ennui des contestations judiciaires, Watt put revenir à ses travaux accoutumés ; et dès lors il se voua sans réserve à la solution du problème capital qui depuis plusieurs années ne cessait de se poser dans son esprit.

La machine à vapeur n’avait jusque-là servi qu’à l’épuisement de l’eau dans les mines ; il voulait transformer la puissance dont il s’était rendu maître, en un moteur susceptible de recevoir toutes les applications que, peut exiger l’industrie. Il avait créé la pompe à feu, il fallait créer le moteur universel. Ce grand problème, son génie devait le résoudre de la manière la plus absolue, dans son principe général et dans ses détails les plus délicats, grâce à une série de découvertes dont il nous reste à exposer les éléments.

On a vu que dans la machine à simple effet (page 86), dans laquelle Watt substituait à la pression atmosphérique la seule puissance de la vapeur, l’action motrice ne s’exerce réellement que pendant l’abaissement du piston. L’oscillation ascendante est simplement déterminée par le contre-poids attaché au balancier, qui fait remonter le piston, lorsque la pression de la vapeur est rendue égale sur ses deux faces. Il y avait donc dans le jeu de cette machine, une interruption d’action manifeste. Cet inconvénient n’avait qu’une faible importance quand il s’agissait d’élever les eaux ; l’exploitation des mines pouvait parfaitement se contenter d’une telle disposition. Mais pour l’application de la machine à vapeur à tous les usages de l’industrie, ce défaut n’était aucunement tolérable. Le travail égal et continu des manufactures exige que la force motrice