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du premier cadran sur toutes les lettres dont on a besoin, et au même instant l’aiguille de la seconde boîte répète dans le même ordre tous les mouvements, toutes les indications de la première.

Quand ces deux boîtes seront placées dans deux appartements séparés, deux personnes pourront s’écrire et se répondre sans se voir et sans être vues, sans que personne puisse se douter de leur correspondance. La nuit ni les brouillards ne peuvent empêcher la transmission d’une dépêche.

Au moyen de ce télégraphe, le gouverneur d’une place bloquée pourrait entretenir une correspondance secrète et continuelle avec une personne placée à quatre ou cinq lieues de là, et même à une distance indéfinie. La communication peut s’établir entre deux boîtes avec la même facilité qu’on poserait un mouvement de sonnette. Rien, après cela, ne serait plus facile qu’une expérience de la machine en présence de commissaires nommés pour en rendre compte.

L’auteur en a fait deux, l’une à Poitiers et l’autre à Tours, en présence des préfets et des maires. Les procès-verbaux attestent qu’elles ont complètement réussi. Aujourd’hui, l’auteur et son associé demandent que le premier Consul veuille bien permettre que l’une des boîtes soit placée dans son appartement et la seconde chez le consul Cambacérès, afin de donner à l’expérience tout l’éclat et toute l’authenticité possible ; ou bien que le premier Consul accorde une audience de dix minutes au citoyen Beauvais, qui lui communiquera le secret, qui est si facile, que le simple exposé équivaudrait à une démonstration et tiendrait lieu d’expérience.

On ajoute que l’idée est si naturelle, qu’il est peu à craindre qu’elle soit rencontrée par un savant. On dit pourtant que le citoyen Montgolfier l’a devinée, après quelques heures de réflexion, sur la description qu’on lui en avait faite.

Après cet exposé, qui est le résultat de mes conversations avec le citoyen Beauvais, il suffira d’un petit nombre de réflexions.

Si, comme on serait tenté de le croire d’après la comparaison avec un mouvement de sonnette, le moyen de l’auteur consistait en roues, mouvement et pièces de renvoi, l’invention ne serait pas bien étonnante et l’on imagine aisément quels inconvénients elle aurait dans la pratique pour les distances de plusieurs, lieues.

Si, au contraire, comme paraît le prouver le procès-verbal de Poitiers, le moyen de communication est un fluide, il y aurait plus de mérite à l’avoir su maîtriser, au point de produire à de telles distances des effets aussi réguliers et aussi infaillibles. Mais, alors, on peut se demander qui nous garantira ces effets ? Ce n’est pas l’expérience de Poitiers ni celle de Tours, dans lesquelles la distance n’était que de quelques mètres. Ce ne serait même pas celle qu’on propose de faire dans les salons du premier et du second Consul. Tant que l’agent restera caché, on ne pourra jamais attester que ce que l’on aura vu, et il ne sera nullement permis de conclure de la réussite en petit, de ce qui peut arriver à des distances plus considérables. Si l’effet n’est sûr qu’à quelques mètres de distance, la machine, quelque ingénieuse qu’on la suppose, devra être renvoyée aux cabinets de physique amusante.

Si le citoyen Beauvais, qui offre de faire les frais de l’expérience, eût proposé de l’exécuter en présence des commissaires désignés à cet effet, il n’y aurait eu aucun inconvénient à lui accorder sa demande. Quoiqu’une expérience en petit soit peu concluante, cependant elle pourrait faire entrevoir ce qu’il y aurait à espérer d’une épreuve plus en grand et plus dispendieuse. Mais le citoyen Beauvais, sans refuser expressément des commissaires, désire principalement avoir le premier Consul pour témoin de l’expérience et pour appréciateur de l’invention ; il n’appartient donc qu’au premier Consul de décider si, malgré le peu de probabilité de succès que présente une invention si peu constatée et qui est annoncée comme merveilleuse, il voudra bien consacrer quelques moments à l’examen de la découverte d’un artiste qu’on dit aussi plein de génie que dépourvu de science et de fortune ; il fait mystère de sa découverte, et j’ai dû la juger avec sévérité et suivant les règles de la vraisemblance. Mais les limites du vraisemblable ne sont pas celles du possible, et il faut que le citoyen Alexandre soit bien sûr de son fait, puisqu’il offre d’exposer tout aux yeux du premier Consul. Il est donc à désirer que le premier Consul consente à l’entendre, et qu’il puisse trouver dans la communication qui lui sera faite, des motifs pour bien accueillir l’inventeur et récompenser dignement l’auteur.

Paris, 10 fructidor an X. »

On reconnaît dans ce rapport le talent de l’éminent historien de l’astronomie. Il y a là un vrai tour de force de description, car l’auteur parle d’un appareil qu’il n’a jamais vu, et il nous le fait connaître assez bien pour que sa description soit encore le meilleur document à consulter aujourd’hui. Delambre concluait en demandant que le premier Consul accordât à l’inventeur les dix minutes d’audience qu’il sollicitait.

Hélas ! ces dix minutes d’audience ne furent pas accordées. Le rapport de Delambre, que nous venons de citer, est la dernière pièce trouvée par M. Gerspach aux Archives impériales. D’où il faut conclure que le pauvre Alexandre et son associé, déçus dans leurs es-