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dans leur travail. C’est à ces deux causes, graves toutes les deux, qu’il faut attribuer l’imperfection relative que présente en Angleterre la pratique de la nouvelle télégraphie. Aussi l’appareil de MM. Cooke et Wheatstone n’a-t-il été adopté par aucune autre nation de l’Europe pour le service télégraphique.

Pour faire manœuvrer les aiguilles des cadrans, on a choisi des jeunes garçons de quinze ou seize années ; on comptait avec raison sur la vivacité et la délicatesse de mouvements naturelles à cet âge pour se plier plus vite aux conditions si nouvelles et si particulières de ce service. Ces enfants n’ont pas tardé, en effet, à acquérir une habileté prodigieuse à comprendre le vocabulaire télégraphique et à exécuter les signaux qui le composent. Rien n’égale leur dextérité dans le maniement pratique de ce langage de sourd-muet. Les aiguilles s’agitent sous leurs doigts avec la promptitude de la pensée ; les mouvements sont si pressés et si rapides, que l’œil a de la peine à les suivre. On lit en gros caractères sur les murs de la salle : « Ne dérangez pas les employés quand ils sont occupés à leurs appareils. » Cet avis est assez superflu, car on voit les enfants, pendant le cours de leur travail, causer, rire, et s’occuper de ce qui se passe autour d’eux, comme s’ils exécutaient la besogne la plus indifférente ; il leur arrive même, pendant l’expédition d’un message, de faire des aparté télégraphiques et d’assaisonner les dépêches qu’ils sont occupés à transcrire de quelques plaisanteries à l’adresse de leur camarade.

On a observé, en effet, que les jeunes employés du télégraphe finissent par faire, en quelque sorte, connaissance avec leurs correspondants des autres stations. Cette espèce d’intimité est si bien établie entre eux, qu’ils savent reconnaître aux premiers mouvements des aiguilles, celui de leurs camarades qui se dispose à leur écrire. On entend quelquefois un des employés de Londres s’écrier, en remarquant les mouvements de son appareil que l’on commence à faire agir de Manchester, par exemple : « Ah ! voilà George revenu ! » Un autre, en voyant les premières oscillations de ses aiguilles que l’on fait marcher de Liverpool, prend sa place d’un air de contrariété et de mauvaise humeur, en disant : « Allons, c’est encore ce brutal de John qui est là-bas ! » Ces sentiments d’antipathie qui s’établissent ainsi entre les employés d’une même ligne vont quelquefois au point de forcer l’administration à les séparer ; c’est ce que l’on a fait récemment sur la ligne de Londres à Birmingham, où deux jeunes gens étaient sans cesse occupés à se quereller et à échanger des injures par le télégraphe.

Ajoutons que depuis quelques années, les femmes sont employées, en très-grand nombre, dans les bureaux d’expédition des dépêches, à Londres.

La télégraphie électrique est aujourd’hui exploitée en Angleterre, sur une échelle considérable. En 1846, la Compagnie du télégraphe électrique fit construire un établissement magnifique dans la Cité de Londres, à proximité de la Bourse et du quartier de la Banque. Ces bâtiments forment le point de jonction où viennent aboutir les lignes télégraphiques qui rayonnent de soixante villes importantes. Londres se trouve ainsi en communication instantanée avec Cambridge, Norwich, Portsmouth ; avec Birmingham, Stratford, Derby, Nottingham, Liverpool, Manchester, Glasgow, Édimbourg, etc. ; il communique aussi de la même manière avec Folkstone et Douvres.

Le bureau central de la Compagnie se trouve relié avec toutes les têtes des chemins de fer qui ont des bureaux de télégraphie électrique, par des fils qui passent dans les rues à travers des conduits souterrains. Ce bureau central communique ainsi avec toutes les lignes d’Angleterre, et il correspond dans ce moment avec toutes les stations ou bureaux électriques situés dans Londres et les autres villes importantes de la Grande-Bretagne.