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de mémoire une opération d’arithmétique, fût-elle de trente chiffres. On ajoute qu’il dictait à la fois à plusieurs personnes en six ou sept langues différentes.

L’histoire des premiers essais de la télégraphie nous amène à parler des expériences de télégraphie acoustique qui furent faites en France vers la fin du siècle dernier.

Le 1er juin 1782, l’Académie des sciences tenait sa séance au Louvre, lorsque l’on vit entrer, conduit par Condorcet, un moine, revêtu de la robe des bénédictins. C’était dom Gauthey, religieux de l’abbaye de Cîteaux. Dans les loisirs du cloître, il avait imaginé un moyen de correspondance entre les lieux éloignés, et il venait en faire l’exposition devant l’Académie.

Dom Gauthey avait vingt-cinq ans à peine : il était d’une taille élevée, et son visage était empreint d’une douceur et d’un charme inexprimables. Quand il prit la parole pour faire connaître les principes de son invention, son élocution contenue et grave produisit sur la docte assemblée l’effet le plus heureux. Son succès fut complet ; il dépassa bientôt les limites de l’enceinte académique. Pendant quelques jours le jeune bénédictin fut le héros de la cour et de la ville. Condorcet écrivit à ce sujet un rapport à l’Académie des sciences, dont voici le texte.

« Nous avons examiné, par ordre de l’Académie, un mémoire présenté par dom Gauthey, religieux de l’ordre de Cîteaux, contenant un moyen de communiquer entre deux endroits très-éloignés ; ce moyen, dont l’auteur s’est conservé le secret, nous a été communiqué, et il nous a paru praticable et ingénieux : il peut s’étendre jusqu’à la distance de treize lieues sans stations intermédiaires, et sans appareil trop considérable. Quant à la célérité, il n’y aurait que quelques secondes d’une ligne à l’autre. Mais le temps dont on aurait besoin pour faire entendre le premier signe serait plus long, et ne peut être connu que par l’expérience ; et cette expérience serait peu coûteuse. Il n’est guère possible sans l’avoir faite de déterminer, même à peu près, les frais de construction de la machine. Nous pouvons assurer seulement que si la distance était très-petite, comme celle du cabinet d’un prince à celui de ses ministres, l’appareil ne serait ni trop cher ni très-incommode, et qu’on pourrait répondre du succès.

« Le moyen nous a paru nouveau, et n’avoir aucun rapport aux moyens connus et destinés à remplir le même objet.

« Nous déposons au secrétariat de l’Académie un papier contenant le mémoire de dom Gauthey et les motifs de notre opinion sur la possibilité du moyen qu’il propose.

« Fait au Louvre, ce samedi 1er juin 1782. »

Le système de dom Gauthey consistait à établir, entre des postes successifs, des tubes métalliques d’une très-grande longueur, à travers lesquels la voix se propageait sans perdre sensiblement de son intensité. Dom Gauthey affirmait pouvoir transmettre ainsi, dans une heure, un avis à deux cents lieues de distance.

Louis XVI voulut que le procédé de dom Gauthey fût soumis à l’expérience demandée par Condorcet. Cette expérience eut lieu, sur une longueur de huit cents mètres, dans un des tuyaux qui conduisaient l’eau à la pompe de Chaillot. Elle ne laissa aucun doute sur la vérité des assertions de dom Gauthey.

À la suite de ce premier essai, l’inventeur demanda l’épreuve de son système acoustique sur une échelle plus étendue. Il proposait de poser des tubes enchâssés les uns dans les autres, de manière à former un tuyau non interrompu, et prétendait, avec trois cents tuyaux de mille toises chacun, faire passer, en moins d’une heure, des dépêches à cent cinquante lieues. Cependant cette expérience fut jugée ruineuse, et la munificence royale recula devant les dépenses qu’elle devait entraîner.

Dom Gauthey se tourna alors d’un autre côté. Il ouvrit une souscription, mais elle fut insuffisante pour couvrir les frais probables de l’entreprise.

Pendant cet intervalle, l’engouement du public avait disparu. Dans cette société frivole, les impressions se formaient et s’effaçaient avec la même promptitude. Le caprice d’un jour avait élevé la fortune du