Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/244

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cette opération merveilleuse, et l’on se flattait d’avoir tout prévu. Mais l’expérience seule nous apprend à prévoir, et l’expérience est souvent chère et cruelle ! C’est ce qui devait arriver.

Tous les valeureux auteurs de cette entreprise mémorable, tous ceux qui, depuis si longtemps, s’étaient fatigué l’esprit et le cœur par une anxiété continuelle, qui n’avaient été arrêtés par aucun obstacle, ni découragés par aucun échec, qui avaient espéré alors que l’espérance semblait présomption, et que le doute seul semblait être la sagesse, tous ces hommes, en voyant leur œuvre parvenue à ce point, sentirent qu’elle ne leur appartenait plus. Ils en remirent la fin entre les mains de Dieu, ne pouvant plus faire autre chose que lui souhaiter une heureuse issue.

Le 29 juillet 1857, le Niagara accompagné de la Susquehanna, arriva à Qu’enestown (Irlande), où il avait été précédé par l’Agamemnon, le Léopard et le Cyclope. Le lord lieutenant d’Irlande, lord Carlisle, désireux d’encourager par sa présence, les acteurs de ce grand drame maritime, les héros de cette véritable bataille de la science contre les éléments et les préjugés, se rendit de Dublin à Valentia. Il prit part à un déjeuner offert par le chevalier de Kerry, pour célébrer un événement où de si grands intérêts étaient en jeu. Les gens du pays, accourus dans le port, témoignaient leur enthousiasme par des danses et des feux de joie.

Lord Carlisle prononça à cette occasion, un éloquent discours. Il dit que quand même un échec se produirait, ce serait un crime que de se laisser aller au découragement, car le sentier qui conduit aux grandes œuvres, est tracé au milieu de difficultés et de périls de tous genres. « Échouer une première fois, disait lord Carlisle, c’est la loi et la condition du succès final ! »

Ces paroles du lord lieutenant d’Irlande étaient prophétiques.

Le 5 août 1857, l’extrémité du câble fut amenée à terre, pour être fixée dans la station télégraphique qui avait été construite sur les falaises de Valentia. Il fut hissé à cette hauteur, au milieu de l’enthousiasme général.

La flottille mit à la voile dans la soirée du jeudi 7 août, et le Niagara commença la pose.

Nous ne donnerons pas ici la description de l’appareil de dévidement employé sur l’Agamemnon, parce que cet appareil sera décrit plus loin, à propos de la pose du câble atlantique de 1865.

On avait à peine déroulé 10 kilomètres de câble, qu’il s’entortilla dans la machinerie de dévidement, et se brisa. Cet accident venait de la négligence d’un des hommes chargés de surveiller sa sortie de la cale.

Tout aussitôt, les embarcations des navires se rendirent près de la côte, et on s’occupa à retirer de la mer la partie immergée, qui fut soudée, dans la même journée, à la portion restée à bord du Niagara. Cette soudure exécutée, et le câble présentant toute la solidité qu’il avait avant l’accident, l’escadrille reprit sa route et l’on recommença à déposer le conducteur au fond de la mer.

Le mardi 12 août, se produisit le regrettable accident de la rupture de ce câble. L’escadrille se trouvait déjà à la distance de 420 à 450 kilomètres de Valentia. Il était 4 heures de l’après-midi, la mer était forte, le vent soufflait du sud, et le navire filait de 3 à 4 nœuds. Mais le câble déviait beaucoup. Entraîné par un courant sous-marin dont on ne soupçonnait pas l’existence, il se déroulait à raison de 6 et même de 7 nœuds, c’est-à-dire avec une vitesse hors de proportion avec celle du bâtiment. Le mécanicien, chargé de surveiller le dévidement, jugeant la dépense trop considérable, avait cru devoir serrer le frein, dans un moment où l’arrière du bâtiment plongeait ; mais le tangage faisant subitement relever la poupe, le câble se rompit au-dessous de la dernière poulie.