Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/32

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modernes, devant les difficultés de laquelle avaient échoué tous les efforts de vingt générations. C’est avec les plus faibles moyens d’action, avec des ressources pécuniaires qui nous paraîtraient aujourd’hui dérisoires, que les hommes de cette époque accomplissaient des prodiges. De même qu’ils improvisaient des armées sans solde et sans habillements, et qu’ils lançaient à la frontière des soldats qui gagnaient des victoires en sabots, ils savaient aussi, sans argent, sans crédit, couvrir le territoire français de créations merveilleuses. C’est que ni l’intérêt, ni l’égoïsme, ni les vaines passions, n’altéraient ces âmes puissantes, qui ne vibraient que pour les nobles sentiments du patriotisme et de l’honneur.

Les représentants Lakanal, Daunou et Arbogast, furent nommés, le 6 avril, commissaires de la Convention pour l’examen du projet de Chappe.

Daunou, qui devait bientôt jouer un grand rôle dans nos fastes législatifs, était un homme fort érudit, mais éloigné, par son genre d’esprit, des connaissances scientifiques proprement dites. Arbogast était un mathématicien, mais de ceux qui s’absorbent dans les conceptions abstraites : il devint plus tard associé de l’Institut.

Quant à Lakanal, il suffit de prononcer son nom pour évoquer la plus grande figure scientifique de la Révolution française. Docteur ès sciences, docteur ès lettres, professeur de philosophie avant 1789, Lakanal fut entraîné dans le mouvement politique de cette époque, et il fit des merveilles au sein de la Convention nationale, pour l’organisation des sciences et des lettres. On lui doit la création du Muséum d’histoire naturelle de Paris, l’organisation de l’Institut, la création de l’École normale et du Bureau des longitudes, l’établissement des Écoles primaires, de l’École centrale et de l’École des langues orientales, enfin le rapport qui décida l’adoption du télégraphe.

Après avoir occupé, sous l’Empire, une position modeste autant qu’utile, sans jamais sortir de la plus honorable pauvreté, Lakanal, à la chute de Napoléon, s’imposa l’exil, et passa à la Louisiane et aux États-Unis, une vie obscure et tranquille. Revenu en France, quelque temps après 1830, il vécut de l’existence calme et sereine du savant et de l’académicien, entouré du respect et de l’affection de ses collègues. Lakanal est mort en 1844.

Dans les premiers temps de notre arrivée à Paris, nous avons eu le bonheur de voir de près cet homme simple et grand, dans son appartement de la place Royale, à deux pas de la maison de Victor Hugo. Les souvenirs qui nous sont restés de ce vieillard illustre, dernier type, admirable débris d’une génération immortelle, ne s’effaceront jamais de notre mémoire.

Dans la commission chargée d’examiner le système télégraphique de Chappe, Lakanal prit vigoureusement la défense de ce système. Il avait commencé par faire expérimenter devant lui la machine, et compris d’un coup d’œil tout ce qu’elle promettait à la politique et au progrès des nations.

Mais les deux autres commissaires, Daunou et Arbogast, résistaient à ses convictions. Ils s’appuyaient surtout sur les objections de la commission des finances. Cambon, qui régnait en maître dans cette commission, ne voyait dans le projet de Chappe qu’une source de dépenses pour l’État, dans un moment où la plus stricte économie était imposée au trésor public.

Toutes ces résistances désespéraient Claude Chappe. Il considérait son projet comme perdu, et il l’eût certainement abandonné sans l’appui de Lakanal. Quelques fragments de la correspondance de Chappe et de Lakanal, conservent les traces de ce découragement de l’inventeur, et du secours qu’il trouvait dans le persévérant conventionnel.

« Il me semble, écrit Chappe à ce dernier, que le citoyen Daunou met bien peu d’importance à mon système télégraphique. Le citoyen Arbogast témoigne