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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/34

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aux publicistes qui pensent que la France est trop étendue pour former une république. Le télégraphe abrège les distances et réunit en quelque sorte une immense population sur un seul point. Il y a longtemps que, rebuté de toutes parts, j’aurais abandonné mon projet, si vous ne l’aviez pris sous votre protection[1]. »

Mais Lakanal le défendait avec vigueur devant la Commission. Il insistait, argument décisif à cette époque, sur l’inappréciable secours que le télégraphe devait apporter aux opérations des armées. Se plaçant ensuite au point de vue politique, il démontrait que l’unité de la nation française aurait tout à gagner à ce moyen nouveau de rattacher l’une à l’autre les différentes parties du territoire de la République. Il ajoutait que l’établissement de la télégraphie serait la meilleure réponse à faire à ceux qui prétendaient que la France était trop grande pour être dirigée par un gouvernement unique et central.

Ces arguments triomphèrent au sein de la commission. Chappe fut invité à préparer les expériences qu’il devait faire devant elle, et les fonds nécessaires furent mis à sa disposition.

Aussi Chappe s’empressait-il d’écrire à Lakanal :

« Enfin, grâce à vos courageux efforts, à votre patience inaltérable, mon projet sera examiné sur une ligne de correspondance propre à donner des résultats concluants. Vous avez fait faire les premiers fonds nécessaires à cet examen préliminaire. Nous vous attendrons, mon ami Girardin et moi, à Écouen, d’où nous vous suivrons à Saint-Martin-du-Tertre. »

Il lui écrivait encore :

« Grâces vous soient rendues mille fois ! vous avez triomphé de tous les obstacles ; que dis-je ? vous les avez transformés en moyens ; me voilà pleinement satisfait. Le projet est adopté, et le décret détermine mon rang et mes attributions pécuniaires. Je ne puis vous offrir que ma profonde gratitude ; mais elle ne périra qu’avec moi, etc. »

Et un autre jour :

« Je vous dois de nouveaux remercîments. Vous êtes inépuisable quand il s’agit de m’être utile. Je reçois l’arrêté du Comité qui met à ma disposition les fonds nécessaires pour un essai en grand. Je vais m’occuper des moyens d’exécution. Je serai très-attentif à vous tenir au courant de toutes mes opérations. Je prie mon créateur de recevoir l’hommage de sa créature[2]. »

Claude Chappe, aidé de ses frères et de ses amis Delaunay et Girardin, se mit aussitôt en devoir d’exécuter l’expérience de son appareil devant les commissaires de la Convention. Il établit une véritable ligne télégraphique, composée de deux postes extrêmes et de deux postes intermédiaires.

Comme il avait encore à redouter la méfiance populaire, il voulut soustraire ses nouveaux appareils au sort funeste des premiers, et demanda au gouvernement une protection efficace, qui lui fut d’ailleurs accordée sur les instances de Lakanal.

Le 2 juillet 1793, la Convention ordonna aux maires, officiers municipaux et procureurs des communes, sur le territoire desquels les postes étaient construits, de veiller à la sécurité des appareils de Chappe. La garde nationale envoya des hommes pour garder les stations télégraphiques dans la campagne, et la Convention fit connaître officiellement, qu’elle avait elle-même ordonné, par un décret, l’essai de ces machines.

Le 12 juillet 1793, devant les membres de la Commission, auxquels s’étaient joints un grand nombre d’artistes, de savants et d’hommes politiques, Claude Chappe et ses frères procédèrent à l’expérience solennelle, qui devait décider du sort de l’invention.

La ligne partant du parc de Saint-Fargeau, à Ménilmontant, aboutissait à Saint-Martin-du-Tertre. Elle occupait une longueur de 35 kilomètres. Claude Chappe, le vocabulaire à la main, se tenait à Ménilmontant, c’est-

  1. Exposé sommaire des travaux de J. Lakanal, 1 vol. in-8o. Paris, 1838, pages 220, 221.
  2. Exposé sommaire des travaux de J. Lakanal, 1 vol. in-8o, Paris, 1838, pages 220, 221.