Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/35

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à-dire à la première station, avec Daunou, l’un des commissaires de la Convention. Lakanal et Arbogast, avec Abraham Chappe, également muni du vocabulaire, étaient à Saint-Martin-du-Tertre, station extrême. Dans le poste intermédiaire étaient deux stationnaires (le mot remonte à cette époque). L’un avait l’œil à la lunette, l’autre, tenait la manivelle de l’instrument à signaux.

Le poste de Saint-Martin-du-Tertre ayant fait connaître, par un signal convenu, qu’il était prêt, le poste de Ménilmontant commença à expédier la phrase suivante :

« Daunou est arrivé ici. Il annonce que la Convention nationale vient d’autoriser son Comité de sûreté générale à apposer les scellés sur les papiers des représentants du peuple. »

Cette dépêche fut transmise en 11 minutes.

À son tour, le poste de Saint-Martin-du-Tertre expédia, en 9 minutes les vingt-six mots qui suivent :

« Les habitants de cette belle contrée sont dignes de la liberté par leur amour pour elle et leur respect pour la Convention nationale et ses lois. »

Les commissaires entreprirent ensuite une conversation, qui fut rapidement traduite en signaux et transmise par l’appareil. Le succès fut complet, sauf quelques légères erreurs provenant de l’inattention ou du peu d’expérience des opérateurs[1].

Les commissaires de la Convention et tous ceux qui assistaient à l’expérience, furent émerveillés de ce résultat.

Il est à remarquer qu’outre le télégraphe aérien qui fut expérimenté dans cette journée mémorable, Claude Chappe avait présenté aux commissaires un télégraphe nocturne, et bien plus, un télégraphe qui pouvait se déplacer, en d’autres termes, comme l’appelait l’inventeur, un télégraphe ambulant.

Le télégraphe nocturne n’était que l’appareil de jour, muni, pour l’éclairer, de quatre énormes lanternes aux extrémités de ses bras. Quant au télégraphe ambulant, destiné au service des armées en campagne, c’était une machine plus petite que le télégraphe ordinaire, et qui pouvait se transporter d’un lieu à un autre, sur un chariot. Mais ces deux systèmes ne furent pas expérimentés par la commission, car le rapport de la commission se borne à mentionner leur existence, sans donner aucun détail sur leur mécanisme. Ajoutons que les télégraphes ambulants, pas plus que le télégraphe nocturne, n’ont jamais été d’un emploi pratique.

L’expérience du 12 juillet 1793, avait si admirablement prononcé en faveur de la perfection du système de Chappe, qu’aucune hésitation n’était plus permise. Lakanal fut donc chargé de rédiger le rapport de la commission, destiné à être présenté à la Convention nationale.

Ce rapport fut lu, quinze jours après, le 26 juillet 1793, devant la Convention. Remarquable par l’élévation des vues, la clarté des descriptions, et son style vigoureux, fortement empreint de la couleur de l’époque, il produisit dans l’Assemblée une impression profonde. Comme cette pièce constitue un monument historique, qui honorera les sciences et notre patrie, nous croyons devoir la reproduire dans son entier.


Citoyens législateurs,

« Ce sont les sciences et les arts, autant que les vertus des héros qui ont illustré les nations, dont le souvenir se prolonge avec gloire dans la postérité. Archimède, par les heureuses inspirations de son génie, fut plus utile à sa patrie que n’aurait pu l’être un guerrier en affrontant la mort au milieu des combats.

Quelle brillante destinée les sciences et les arts ne réservent-ils pas à une république qui, par son immense population et le génie de ses habitants, est appelée à devenir la nation enseignante de l’Europe.

Deux découvertes paraissent surtout marquer dans le dix-huitième siècle ; toutes deux appartiennent à la nation française : l’aérostat et le télégraphe.

  1. Gerspach, Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France. in-8o, Paris, 1861, page 21.