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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/36

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Mongolfier traça une route dans les airs, comme les Argonautes s’en étaient frayé une à travers les ondes ; et tel est l’enchaînement des sciences et des arts, que le premier vaisseau qui fut lancé prépara la découverte du nouveau monde, que l’aérostat devait servir de nos jours la liberté, et être dans une bataille célèbre le principal instrument de la victoire.

Le télégraphe rapproche les distances ; rapide messager de la pensée, il semble rivaliser de vitesse avec elle.

Comme il importe aux sciences de connaître les diverses gradations des découvertes, nous croyons devoir entrer dans quelques détails avant de vous présenter le tableau des expériences que nous avons faites, en exécution de vos décrets, pour constater l’utilité du télégraphe-pouvoir.

De tout temps on sentit la nécessité de correspondre et de s’entendre à de grandes distances, et l’on adopta pour y parvenir divers modes de signaux.

Les peuples de l’Helvétie furent appelés à l’insurrection contre le despotisme d’Albert par les feux allumés sur le sommet des montagnes.

Ce moyen de correspondance n’était pas ignoré des Gaulois, nos ancêtres.

Les Chinois paraissent faire usage du canon, en attachant quelques valeurs aux explosions plus ou moins nombreuses de la poudre.

La marine s’est emparée des signaux vexillaires de La Bourdonnais, et en fait l’application à quelques événements prévus ; mais l’on sent qu’il y avait loin de là à un moyen qui embrassât d’une manière simple et sûre toutes les idées et les divers modes du discours.

Le célèbre Amontons conçut et exécuta avec succès un système de signaux, dont il a gardé le secret.

Depuis plusieurs années, le citoyen Chappe travaillait à perfectionner ce langage, convaincu que, porté au degré de perfection dont il est susceptible, il peut être d’une grande utilité dans une foule de circonstances, et surtout dans les guerres de terre et de mer, où de promptes communications et la rapide connaissance des manœuvres peuvent avoir une grande influence sur le succès.

Ce n’est qu’après de longues méditations et de nombreux essais, qu’il est parvenu à former un système de correspondance, qui allie à la célérité des procédés la rigueur des résultats ; car on ne marche que pas à pas dans les découvertes, et il est difficile de calculer les obstacles. On fait, on défait, on compare, et le résultat positif n’est donné que par l’expérience.

L’électricité fixa d’abord l’attention de ce laborieux physicien ; il imagina de correspondre par le secours des temps marquant électriquement les mêmes valeurs, au moyen de deux pendules harmonisées ; il plaça et isola des conducteurs à de certaines distances ; mais la difficulté de l’isolement, l’expansion latérale du fluide dans un long espace, l’intensité qui eût été nécessaire et qui est subordonnée à l’état de l’atmosphère, lui firent regarder son projet de communication par le moyen de l’électricité comme chimérique.

Sans perdre de vue son objet, il fit de nouveaux essais, en prenant les couleurs pour agent. Mais il reconnut bientôt que ce système n’était rien moins que sûr par la difficulté de les rendre sensibles à certaines distances, et que les résultats étaient entravés et rendus à chaque instant incertains par les diverses dispositions de l’atmosphère. En conséquence, il chercha à atteindre d’une autre manière le but qu’il s’était proposé.

Le micromètre appliqué à la lunette ou au télescope lui parut pouvoir fournir un moyen de correspondance. Il en fit établir un dont le cadran présentait diverses divisions ou valeurs conventionnelles correspondant à un même nombre de points déterminés sur un petit espace de terrain disposé à une grande distance : cet essai réussit. Mais comme ce mode de communication ne pouvait avoir lieu que pour un petit nombre de postes, il passa à de nouvelles recherches.

Il s’attacha à la forme des corps, comme susceptible de se prononcer dans l’atmosphère d’une manière certaine, et constata qu’en leur faisant affecter diverses positions, il en tirerait un moyen sûr de correspondance.

Le premier essai de ce genre eut lieu dans le département de la Sarthe, au mois de mars 1791 (V. S.). Dans cet essai, l’application des pendules harmonisées, fut combinée avec la forme des corps.

Quelque temps après, la même expérience fut répétée à Paris avec divers changements. Enfin, après avoir médité sur le perfectionnement de ses moyens, et leur exécution mécanique, le citoyen Chappe en fit, en 1792, hommage à l’Assemblée législative, qui les accueillit sans aucun fruit pour les sciences et les arts. Plus zélée pour tout ce qui intéresse leur gloire, la Convention nationale par son décret du 27 avril dernier, nous a chargés de suivre le procédé présenté par le citoyen Chappe pour correspondre rapidement à de grandes distances.

Avant de vous soumettre le résultat de nos opérations, il est nécessaire de se former une idée exacte de l’appareil dont se sert l’inventeur de cette importante découverte.

Le télégraphe est composé d’un châssis ou régulateur qui forme un parallélogramme très-allongé. Il est garni de lames à la manière des persiennes. Ces lames sont en cuivre sur-argenté et bruni. Elles sont inclinées de manière à pouvoir réfléchir horizontalement la lumière de l’atmosphère.

Le régulateur est ajusté par son centre sur un axe, dont les deux extrémités reposent sur des coussins en cuivre fixés au bout de deux montants.