Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vos commissaires ont pensé que vous vous empresseriez de nationaliser cette intéressante découverte, et que vous préféreriez à des moyens lents et dispendieux un procédé propre à communiquer rapidement, à de grandes distances, tout ce qui peut faire le sujet d’une correspondance.

Ils pensent que vous ne négligerez pas cette occasion d’encourager les sciences utiles ; si leur foule, épouvantée, s’éloignait jamais de vous, le fanatisme relèverait bientôt ses autels, et la servitude couvrirait la terre. Rien en effet ne travaille plus puissamment pour les intérêts de la tyrannie que l’ignorance.

Voici le projet de décret que je vous propose, au nom de votre commission réunie au comité d’instruction publique :

La Convention nationale accorde au citoyen Chappe le titre d’ingénieur-télégraphe, aux appointements de lieutenant du génie.

Charge son comité de salut public d’examiner quelles sont les lignes de correspondance qu’il importe à la République d’établir dans les circonstances présentes[1]. »

La Convention, dans sa séance du 25 juillet, convertit en décret la proposition de Lakanal. Adoptant officiellement le télégraphe de Chappe, elle ordonna au Comité de salut public de faire établir sur le territoire français une ligne de correspondance, composée du nombre de postes nécessaires. Claude Chappe reçut le titre d’ingénieur-télégraphe, avec un traitement de 5 livres 10 sous par jour, pour assimiler sa situation à celle de lieutenant du génie.

C’est du 25 juillet 1793, bien que la première ligne télégraphique n’ait pu être établie et fonctionner qu’un an plus tard, que date l’adoption, par le gouvernement français, de la télégraphie aérienne. À partir de ce moment, elle appartint à l’État, et devint une branche de l’administration du gouvernement.

Après le mérite primordial de l’inventeur, c’est donc au gouvernement de la République que revient la gloire d’avoir adopté et popularisé cette invention. C’est à Lakanal, en particulier, sans oublier le citoyen Romme, qui sut appeler l’attention sur l’inventeur, que le monde est redevable de l’adoption générale de la télégraphie. Avant Claude Chappe, bien des systèmes avaient été proposés et essayés. Tous, sans en excepter celui d’Amontons, étaient tombés dans l’oubli. Le télégraphe de Chappe aurait certainement éprouvé le même sort, si la Convention nationale, poussée surtout par le désir de pourvoir aux nécessités de la guerre, ne l’avait adopté et mis en pratique.

Il nous reste à raconter les difficultés pratiques que rencontra l’établissement des machines de Chappe sur le territoire français.



CHAPITRE VII

comment fut établie sur le territoire de la république française la première ligne de télégraphie. — création de la ligne de paris à lille.

Le Comité de salut public fut chargé par la Convention nationale, de diriger l’établissement des postes télégraphiques. Le 4 août 1793, ce Comité suprême décida, sous l’inspiration de Carnot, que deux lignes seraient créées d’urgence : la première partant de Lille, pour aboutir à Paris ; la seconde de Paris à Landau, ville de Bavière, alors au pouvoir de la France, et qui marquait la limite présente de ses frontières à l’Est.

L’idée qui présida à l’adoption de la télégraphie au sein de la Convention, et qui détermina le choix des deux lignes que nous venons d’indiquer, était donc toute militaire. On va comprendre ce qui décida à établir de préférence ces deux voies télégraphiques, aboutissant l’une à Lille, l’autre à Landau.

On était au plus fort de l’invasion étrangère, et nos armées, refoulées au nord par les Autrichiens, étaient en pleine retraite. Condé et Valenciennes étaient au pouvoir de l’ennemi. Le prince de Cobourg marchait sur Paris, à la tête de 180 000 hommes. Il était suivi d’un corps de 20 000 Autrichiens et

  1. Travaux de Lakanal. Paris, 1838, in-8, p. 105-115.