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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/386

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« Mais ces enduits, lui dis-je, c’est la base de mes opérations ; sans eux, il me serait impossible de cuivrer dans des bains saturés de sulfate de cuivre, et, par conséquent, très-acides, sans ces enduits protecteurs, ces objets en fer et en fonte, que vous voyez, y seraient détruits.

— Votre explication, répliqua-t-il en souriant, est bonne pour le commun des martyrs, mais vous n’avez pas, sans doute, la prétention de me la faire prendre au sérieux ? Entre nous, cher monsieur, je puis vous le dire, vos enduits ne servent à rien, c’est du charlatanisme, de la poudre de perlimpinpin. Vous savez comme moi qu’il suffit de métalliser avec soin, au moyen du graphite, une pièce quelconque de fer ou de fonte et de la mettre ensuite en contact dans votre bain avec un courant galvanique pour qu’elle soit bientôt recouverte d’une couche adhérente de cuivre. »

De plus en plus surpris, je cherche à deviner si l’illustre académicien ne se moque pas de moi ; mais non, c’est très-sérieusement qu’il me parle ainsi.

« Ce procédé de cuivrage, ajouta-t-il, est décrit, tout au long, dans tous les traités de physique, et je m’étonne que vous paraissiez ne pas le connaître.

— J’avoue mon ignorance, lui dis-je en m’inclinant avec respect, mais permettez-moi de douter de l’efficacité d’un tel procédé ; au surplus, il nous est facile de l’expérimenter sur l’heure. »

Et, de suite, sans avoir égard aux protestations de l’illustre rapporteur, qui ne peut disposer du temps nécessaire à cette opération, attendu que le même jour, à midi, il y a une séance solennelle des cinq Académies, je demande deux pièces de fonte brute, de la plombagine, des brosses et des pinceaux, et me voilà frottant, astiquant ces pièces qui, bientôt, prennent un noir brillant des plus agréables à l’œil. Pendant ce temps, les autres membres de la commission se sont rapprochés et suivent avec intérêt cette expérience, M. le rapporteur, sans pitié pour mon ignorance, explique à ces messieurs le mauvais tour que j’ai voulu lui jouer et la leçon qu’il va me donner. Chacun sourit, moi-même aussi, et, bientôt, les pièces convenablement préparées, sont soumises (dans un bain de sulfate de cuivre) au courant galvanique. Au bout de quelques minutes, M. le rapporteur soulève hors de l’eau l’une des pièces et, d’un ton triomphant, la fait voir à l’assemblée. Cette pièce est, en effet, partout recouverte d’une couche d’un très-beau cuivre rose. !

« De grâce, monsieur, un peu de patience, lui dis-je, poursuivons l’expérience, et si, dans dix minutes au plus, ce cuivre, qui maintenant brille d’un si vif éclat, n’est pas terne et brunâtre, si ses molécules ne se désagrègent pas, rien qu’en passant le doigt sur leur surface, et si, sous ce cuivre, la fonte n’est pas attaquée et ne présente pas au toucher, une boue noirâtre, alors je m’avoue vaincu. »

L’opération continue donc, et dix minutes après, les deux pièces retirées du bain n’offrent plus à l’œil qu’un mélange informe de boue de cuivre et de fonte décomposée.

Pour toute vengeance, je dis en souriant à M. le rapporteur, fort désappointé, que mille expériences du même genre donneraient infailliblement les mêmes résultats. Mais l’illustre professeur répond que l’opération a été mal faite, et reste convaincu de l’efficacité de ses procédés. Là-dessus, Messieurs de la commission me quittent, et depuis je n’ai jamais entendu parler du rapport, ni revu le rapporteur. En revanche, à chaque édition nouvelle de son Traité de Physique il reproduit, touchant le cuivrage de la fonte et du fer avec grande épaisseur, invariablement les mêmes erreurs ; c’est-à-dire, qu’il suffit pour cuivrer avec épaisseur la fonte et le fer de les plombaginer avec soin avant de les soumettre au courant électrique dans des bains saturés de sulfate de cuivre. J’avoue que ce procédé a sur les miens un mérite incontestable, celui d’une extrême simplicité d’exécution. Chacun sait que la fonte, le fer, le zinc, etc., peuvent être cuivrés sans le secours de mes enduits, en employant les décapages et les bains aux cyanures de cuivre et de potassium, etc. Mais ces procédés qui, depuis longtemps déjà, sont dans le domaine public, ne peuvent donner à ces métaux qu’une couche de cuivre excessivement mince et conséquemment insuffisante pour les préserver de l’oxydation. Loin d’être pour les métaux sous-jacents une garantie de durée, ce mode de cuivrage est une cause certaine, infaillible, d’une destruction beaucoup plus rapide, attendu qu’il s’établit de suite à l’humidité une action galvanique entre le métal sous-jacent et le métal déposé. »

Il est de toute évidence que les procédés de cuivrage à forte épaisseur, par l’intermédiaire d’un enduit appliqué sur le fer ou la fonte, peuvent s’appliquer aux objets de toute dimension. Les grands instruments de chaudronnerie pourraient être ainsi fabriqués, et rien n’empêcherait de remplacer par la fonte cuivrée, de vastes appareils que l’on hésite à fabriquer en raison de la rigidité et de la cherté du cuivre. Il suffirait, pour obtenir des pièces de fonte cuivrée de grand volume, de prendre des bains d’une dimension suffisante. Comme les cuves de bois qui servent à contenir les dissolutions de sulfate de cuivre ne pourraient dépasser certaines limites, sans se rompre sous le poids du liquide, on creuserait dans le sol des fosses, qui pourraient recevoir des pièces de toutes grandeurs.