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arrêté en principe l’établissement de la télégraphie sur le territoire de la République, et d’avoir pris les meilleures mesures administratives applicables à cet objet. Mais ce n’était pas tout. Il ne suffisait pas de décréter, il fallait exécuter, et c’était là le point difficile. Avec la France en feu, la pénurie de l’État, l’absence des matériaux de toutes sortes, et les défiances universelles des populations, improviser seize stations télégraphiques, au milieu des campagnes agitées, fabriquer le matériel des instruments et le mettre en place, c’était un ensemble d’opérations qui aurait été impossible chez une autre nation que la France de 1793. Mais le zèle patriotique faisait naître tant de dévouements particuliers, excitait le génie de tant d’individus, que ce miracle vint s’ajouter à tous ceux qui honorèrent alors et sauvèrent notre patrie.

Il y avait deux objets à remplir : établir en pleine campagne, les maisonnettes des stationnaires ; construire, à Paris, les appareils télégraphiques.

Claude Chappe se réserva la construction mécanique, et chargea ses collègues de la seconde partie du programme, c’est-à-dire de l’exécution de la ligne.

C’est dans la construction des lignes en pleine campagne que se rencontrèrent les plus grands obstacles. Ici tout était nouveau ; il fallait tout créer. Le tracé de la ligne, la distance des postes, le choix des emplacements de chaque station, étaient autant d’études qu’il fallait entreprendre sans aucune espèce de précédent. Les agents de Chappe firent toutes les opérations sur le terrain, en se servant eux-mêmes du niveau et des instruments d’arpentage. Avec quelques principes d’optique, et quelques données sur la météorologie locale, ils se mirent à l’œuvre pour la première opération à entreprendre, c’est-à-dire le tracé de la ligne et la désignation de l’emplacement des stations.

Le gouvernement, pour faciliter leurs travaux, donna l’autorisation de placer les télégraphes sur les tours, clochers et édifices appartenant à l’État ou aux communes. Il permit de faire abattre ou élaguer les portions de bois ou d’arbres qui arrêtaient les rayons visuels d’une station à l’autre, et d’établir des constructions sur les terrains, quels que fussent leurs propriétaires. Des experts, nommés par la municipalité et par les propriétaires, fixaient les indemnités accordées soit pour les arbres abattus, soit pour le loyer des terrains occupés par les constructions.

Après ces opérations préliminaires, les agents de Chappe se distribuèrent le long de la ligne adoptée, pour faire commencer la construction des maisonnettes destinées à recevoir l’appareil, soit dans les villes, soit dans la campagne.

Mais c’est ici que les difficultés commençaient. L’industrie ne pouvait fournir aucun instrument de précision, aucun outil autre que celui qui servait aux travaux les plus grossiers. On ne fabriquait alors que des armes, et l’industrie française n’était propre à aucune autre production. On n’avait ni bois sec, ni métaux, ni matériaux de bâtisse. Dès les premiers jours, on s’aperçut qu’il n’y avait ni pierres pour les maçons, ni bois pour les charpentiers. Il fallait aller chercher le bois dans les forêts, et la pierre dans les carrières. Quand on avait équarri les poutres et taillé les pierres, on ne trouvait aucun moyen de transport. Les chevaux étaient tous pris pour le service de l’armée, et les paysans ne consentaient pas à se séparer de leurs bêtes de trait. Le Comité de salut public, qui avait mis en réquisition tous les matériaux disponibles sur le parcours de la ligne, dut aussi mettre en réquisition des hommes, et les chevaux des propriétaires et des paysans. Ce n’était pourtant qu’à force de prières ou de menaces qu’on parvenait à obtenir quelques bêtes de trait.

Puis, lorsqu’à grand’peine, le bois, la pierre, les métaux étaient enfin rendus aux points désignés pour l’emplacement des maisonnettes télégraphiques, on ne trouvait point