Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/451

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

presque plus tenir ma plume. Mais je n’en avais plus besoin, j’étais stationnaire, et je n’avais plus qu’un mouvement horizontal.

Je me relevai au milieu du char et m’abandonnai au spectacle que m’offrait l’immensité de l’horizon. À mon départ de la prairie, le soleil était couché pour les habitants des vallons : bientôt, il se leva pour moi seul, et vint encore une fois dorer de ses rayons le globe et le char. J’étais le seul corps éclairé dans l’horizon, et je voyais tout le reste de la nature plongé dans l’ombre.

Bientôt le soleil disparut lui-même, et j’eus le plaisir de le voir se coucher deux fois dans le même jour. Je contemplai quelques instants le vague de l’air et les vapeurs terrestres qui s’élevaient du sein des vallées et des rivières. Les nuages semblaient sortir de la terre et s’amonceler les uns sur les autres en conservant leur forme ordinaire. Leur couleur seulement était grisâtre et monotone, effet naturel du peu de lumière divaguée dans l’atmosphère. La lune seule éclairait.

Elle me fit observer que je revirai de bord deux fois, et je remarquai de véritables courants qui me ramenèrent sur moi-même. J’eus plusieurs déviations très-sensibles. Je sentis avec surprise l’effet du vent et je vis pointer les banderoles de mon pavillon ; nous n’avions pu observer ce phénomène dans notre premier voyage. Je remarquai les circonstances de ce phénomène, et ce n’était point le résultat de l’ascension ou de la descente ; je marchais alors dans une direction sensiblement horizontale. Dès ce moment, je conçus, peut-être un peu trop vite, l’espérance de se diriger. Au surplus, ce ne sera que le fruit du tâtonnement, des observations et des expériences les plus réitérées.

Au milieu du ravissement inexprimable et de cette extase contemplative, je fus rappelé à moi-même par une douleur très-extraordinaire que je ressentis dans l’intérieur de l’oreille droite et dans les glandes maxillaires. Je l’attribuai à la dilatation de l’air contenu dans le tissu cellulaire de l’organisme, autant qu’au froid de l’air environnant. J’étais en veste et la tête nue. Je me couvris d’un bonnet de laine qui était à mes pieds ; mais la douleur ne se dissipa qu’à mesure que j’arrivai à terre.

Il y avait environ sept ou huit minutes que je ne montais plus ; je commençais même à descendre par la condensation de l’air inflammable intérieur. Je me rappelai la promesse que j’avais faite à monseigneur le duc de Chartres de revenir à terre au bout d’une demi-heure. J’accélérai ma descente, en tirant de temps en temps la soupape supérieure. Bientôt le globe vide presque à moitié ne me présentait plus qu’un hémisphère.

J’aperçus une très-belle plage en friche auprès du bois de la Tour-du-Lay. Alors je précipitai ma descente. Arrivé à vingt ou trente toises de terre, je jetai subitement deux à trois livres de lest qui me restaient et que j’avais gardées précieusement ; je restai un instant comme stationnaire et vins descendre moi-même sur la friche même que j’avais pour ainsi dire choisie.

J’étais à plus d’une lieue du point de départ. Les déviations fréquentes que j’essuyai, les retours sur moi-même, me font présumer que le trajet aérien a été de plus de trois lieues. Il y avait trente-cinq minutes que j’étais parti ; et telle est la sûreté des combinaisons de notre machine aérostatique, que je pus consommer, et à volonté, cent trente livres de légèreté spécifique, dont la conservation également volontaire eût pu me maintenir en l’air au moins vingt-quatre heures de plus. »

Quand les détails de cette belle excursion aérienne furent connus dans Paris, ils y causèrent une sensation extraordinaire. Le lendemain, une foule considérable se rassemblait devant la demeure de Charles pour le féliciter. Il n’était pas encore de retour, et à son arrivée, il reçut du peuple une véritable ovation. Lorsqu’il se rendit au Palais-Royal, pour remercier le duc de Chartres, au sortir du palais, on le prit sur le perron et on le porta en triomphe jusqu’à sa voiture.

Les récompenses académiques ne manquèrent pas non plus aux courageux voyageurs. Dans sa séance du 9 décembre 1783, l’Académie des sciences de Paris, présidée par M. de Saron, décerna le titre d’associés surnuméraires à Charles et à Robert, ainsi qu’à Pilâtre de Rozier et au marquis d’Arlandes. Enfin, le roi accorda au premier une pension de deux mille livres. Il voulut même que l’Académie des sciences ajoutât le nom de Charles à celui de Montgolfier sur la médaille que l’on se proposait de consacrer à l’invention des aérostats.

Charles aurait dû avoir la modestie ou le bon goût de refuser cet honneur. Il avait, sans nul doute, perfectionné les aérostats et indiqué les moyens de rendre praticables les voyages aériens ; mais le mérite tout entier de l’invention réside dans le principe que les Montgolfier avaient pour la première fois mis en pratique : la gloire de la découverte devait leur revenir sans partage.