Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/450

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dis-je. Alors nous descendîmes dans une vaste prairie.

Des arbustes, quelques arbres bordaient son enceinte. Notre char s’avançait majestueusement sur un plan incliné très-prolongé. Arrivé près de ces arbres, je craignis que leurs branches ne vinssent heurter le char. Je jetai deux livres de lest, et le char s’éleva par-dessus, en bondissant à peu près comme un coursier qui franchit une haie. Nous parcourûmes plus de vingt toises à un ou deux pieds de terre : nous avions l’air de voyager en traîneau. Les paysans couraient après nous, sans pouvoir nous atteindre, comme des enfants qui poursuivent des papillons dans une prairie.

Enfin nous prenons terre. On nous environne. Rien n’égale la naïveté rustique et tendre, l’effusion de l’admiration et de l’allégresse de tous ces villageois.

Je demandai sur-le-champ les curés, les syndics : ils accouraient de tous côtés ; il était fête sur le lieu. Je dressai aussitôt un court procès-verbal, qu’ils signèrent. Arrive un groupe de cavaliers au grand galop : c’était monseigneur le duc de Chartres, M. le duc de Fitz-James et M. Farrer, gentilhomme anglais, qui nous suivaient depuis Paris. Par un hasard très-singulier, nous étions descendus auprès de la maison de chasse de ce dernier. Il saute de dessus son cheval, s’élance sur notre char, et dit en m’embrassant :

— Monsieur Charles, moi premier !

Nous fûmes comblés des caresses du prince, qui nous embrassa tous deux dans notre char et eut la bonté de signer notre procès-verbal. M. le duc de Fitz-James en fit autant ; M. Farrer le signa trois fois de suite. On a omis sa signature dans le journal parce qu’on n’a pu la lire ; il était si agité de plaisir qu’il ne pouvait écrire. De plus de cent cavaliers qui couraient après nous depuis Paris, et que nous apercevions à peine du haut de notre char, c’étaient les seuls qui eussent pu nous joindre. Les autres avaient crevé leurs chevaux ou y avaient renoncé. Je racontai brièvement à monseigneur le duc de Chartres quelques circonstances de notre voyage. — Ce n’est pas tout, monseigneur, ajoutai-je en souriant, je m’en vais repartir.

— Comment, repartir ?

— Monseigneur, vous allez voir. Il y a mieux : quand voulez-vous que je redescende ?

— Dans une demi-heure.

— Eh bien ! soit, monseigneur, dans une demi-heure je suis à vous.

M. Robert descendit du char, ainsi que nous étions convenus en voyageant. Trente paysans serrés autour et appuyés dessus, et le corps presque plongé dedans, l’empêchaient de s’envoler. Je demandai de la terre pour me faire un lest ; il ne me restait plus que trois ou quatre livres. On va chercher une bêche qui n’arrive point. Je demande des pierres, il n’y en avait pas dans la prairie. Je voyais le temps s’écouler, le soleil se cacher. Je calculai rapidement la hauteur possible où pouvait m’élever la légèreté spécifique de cent trente livres que je venais d’acquérir par la descente de M. Robert, et je dis à monseigneur le duc de Chartres :

— Monseigneur, je pars. Je dis aux paysans : Mes amis, retirez-vous tous en même temps des bords du char au premier signal que je vais faire, et je vais m’envoler.

Je frappe de la main, ils se retirent, je m’élance comme l’oiseau ; en dix minutes, j’étais à plus de quinze cents toises, je n’apercevais plus les objets terrestres, je ne voyais plus que les grandes masses de la nature.

Dès en partant j’avais pris mes précautions pour échapper au danger de l’explosion du globe, et je me disposai à faire les observations que je m’étais promises. D’abord, afin d’observer le baromètre et le thermomètre placés à l’extrémité du char, sans rien changer au centre de gravité, je m’agenouillai au milieu, la jambe et le corps tendus en avant, ma montre et un papier dans la main gauche, ma plume et le cordon de ma soupape dans ma droite.

Je m’attendais à ce qui allait arriver. Le globe, qui était assez flasque à mon départ, s’enfla insensiblement. Bientôt l’air inflammable s’échappa à grands flots par l’appendice. Alors je tirai de temps en temps la soupape pour lui donner à la fois deux issues, et je continuai ainsi à monter en perdant de l’air. Il sortait en sifflant et devenait visible, ainsi qu’une vapeur chaude qui passe dans une atmosphère beaucoup plus froide.

La raison de ce phénomène est simple. À terre, le thermomètre était à 7° au-dessus de la glace ; au bout de dix minutes d’ascension, j’avais 5° au-dessous. On sent que l’air inflammable contenu n’avait pas eu le temps de se mettre en équilibre de température ; son équilibre élastique étant beaucoup plus prompt que celui de la chaleur, il en devait sortir une plus grande quantité que celle de la dilatation extérieure que l’air pouvait déterminer par sa moindre pression.

Quant à moi, exposé à l’air libre, je passai en dix minutes de la température du printemps à celle de l’hiver. Le froid était vif et sec, mais point insupportable. J’interrogeai alors paisiblement toutes mes sensations, je m’écoutai vivre pour ainsi dire, et je puis assurer que, dans le premier moment, je n’éprouvai rien de désagréable dans ce passage subit de dilatation et de température.

Lorsque le baromètre cessa de monter, je notai très-exactement dix-huit pouces dix lignes. Cette observation est de la plus grande rigidité. Le mercure ne souffrait aucune oscillation sensible. J’ai déduit de cette observation une hauteur de 1 524 toises environ, en attendant que je puisse intégrer ce calcul et y mettre plus de précision. Au bout de quelques minutes, le froid me saisit les doigts : je ne pouvais