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pour une livre en numéraire. Claude Chappe dut prendre, avec douleur, le parti de suspendre les travaux. La section de Strasbourg à Landau fut abandonnée, les ateliers furent dissous. À la fin de l’an V, toute l’administration était disloquée. Les matériaux, abandonnés dans les chantiers déserts, étaient détériorés ou volés ; les employés de la ligne de Lille n’étaient pas payés depuis six mois.

Les lignes télégraphiques allaient disparaître en France, peut-être sans retour, lorsqu’un événement politique bien fortuit vint arrêter leur ruine imminente. Le congrès de Rastadt s’était réuni ; et le Directoire voulait pouvoir en suivre à chaque instant les délibérations. Au mois de brumaire de l’an VI, il ordonna que la ligne télégraphique de Strasbourg serait reprise et terminée d’urgence ; et il eut la bonne précaution, pour assurer l’exécution de sa volonté, de fournir des fonds en numéraire.

Grâce à cette circonstance, le service fut réorganisé, les employés furent rappelés et les travaux repris. Cinq mois suffirent à l’entier achèvement de la ligne, et dans le courant de l’an VI, la ligne de Paris à Strasbourg était terminée. Elle comprenait 46 postes, et avait coûté 176 000 francs[1].

Nous avons dit que le Comité de salut public avait décidé de prolonger la ligne de Paris à Lille jusqu’à Ostende, notre frontière de Belgique. Le Directoire, pour relier à Paris notre principal port militaire, résolut, au mois de germinal an VI, d’établir une ligne télégraphique de Paris à Brest.

Cette ligne fut construite d’après les données de Chappe, aux frais du ministère de la marine. Elle fut terminée en sept mois. Elle comprenait 55 postes, et coûta 300 000 francs.

Dans l’établissement de cette troisième ligne télégraphique, on avait profité de l’expérience déjà acquise. Les maisonnettes, construites en bonne maçonnerie, contenaient un logement pour les stationnaires. De cinq postes en cinq postes, on installa des stationnaires, plus instruits que leurs collègues, et qui inscrivaient sur un registre les signaux qui traversaient la ligne[2].

Une quatrième ligne fut ordonnée par le Directoire : elle allait de Paris à Lyon, par Dijon.

Cependant l’état des finances ne s’était pas amélioré sous le Directoire. Les employés étaient toujours mal payés, car en l’an VII leurs appointements étaient en arrière de douze mois. Le service télégraphique était donc encore menacé d’une désorganisation totale ; pour la seconde fois, il paraissait à la veille de sa ruine.

Pour prévenir ce résultat désastreux, le Directoire, le 8 vendémiaire an VIII, sur le rapport du ministre de l’intérieur, prit un arrêté qui mettait à la disposition de ce ministre une somme de 12 000 francs par décade, jusqu’à concurrence de 210 250 francs, passif financier de la télégraphie. Cette mesure devait liquider tout l’arriéré de cette administration.

Les termes de cet arrêté montrent bien, d’ailleurs, quelle importance le Directoire attachait à la télégraphie, comme moyen de faciliter l’exercice du gouvernement. On lit, en effet, dans ce document :

« Que le service des lignes télégraphiques est aussi important au maintien de la République que celui des armées ;

Que s’il est urgent de pourvoir au payement de la solde des défenseurs de la patrie, il ne l’est pas moins de faire payer le montant des appointements qui sont dus aux préposés à la transmission télégraphique ;

Que, si cette mesure est réclamée par la justice et l’humanité, elle était impérieusement commandée par l’intérêt public ;

Et qu’enfin le seul moyen de préserver les lignes télégraphiques de la désorganisation totale est de faire jouir les stationnaires de leur traitement, dont le retard les expose à toutes les horreurs de la misère et les force d’abandonner leurs postes[3]. »

  1. É. Gerspach, Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France, p. 60.
  2. É. Gerspach, p. 58.
  3. Idem, p. 63.