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Ce fut là le dernier acte du Directoire, dans ses rapports avec la télégraphie. Ce gouvernement, pendant les cinq années de sa durée, avait pris le plus grand intérêt à l’invention de Chappe. Il avait doté la France de deux grandes lignes et de deux embranchements. Mais il n’avait pu triompher, dans ce cas, pas plus que dans les autres branches de l’administration publique, des embarras financiers, héritage de la période révolutionnaire.

Les consuls eurent peu le loisir de s’occuper des télégraphes, et Bonaparte lui-même n’y songea qu’un peu tard. Il s’appliqua seulement à régulariser ce service, au point de vue administratif. En l’an IX, trois lignes étaient en fonction : celle du Nord, celles de l’Est et de la Bretagne, et l’on construisait, mais avec beaucoup de lenteur, la ligne du Midi, par Dijon et Lyon.

Ces lignes ne rapportaient rien au gouvernement, et nécessitaient, pour l’entretien et le service, des frais qui, en l’an VIII, s’étaient élevés à 434 000 francs. Malgré toutes les promesses du gouvernement, la situation financière de cette administration était de plus en plus mauvaise.

Le premier consul n’y trouva d’autre remède que de réduire considérablement le crédit accordé à la télégraphie. Un arrêté du 3 nivôse an IX, fixa à 150 000 francs le crédit annuel pour le service de toutes les lignes.

C’était une mesure désespérée, qui semblait, une fois encore, annoncer la fin prochaine de la télégraphie française. En effet, la ligne de Lyon fut abandonnée, et le personnel de la télégraphie singulièrement réduit.

Claude Chappe voyait avec chagrin la ruine de l’administration qu’il avait fondée. Dans cette situation extrême, il lui vint à l’esprit une pensée de salut. La télégraphie, qui depuis son origine, n’était pour le gouvernement qu’une source de dépenses, lui semblait pourtant en état de vivre par elle-même. Déjà, sous le Directoire, il avait proposé d’établir une télégraphie privée. Il croyait que les commerçants des villes et de l’intérieur de la France, devaient tirer de très-grands avantages de la connaissance des nouvelles de Paris. Il pensait que si les ports de mer pouvaient signaler dans la capitale ou dans les autres villes, les arrivages maritimes ; si Marseille et Lyon, Brest et Bordeaux, Strasbourg et Lille, etc., pouvaient recevoir, le jour même, l’annonce du cours de la bourse, ou celui du change dans les différentes places, etc., l’administration télégraphique pourrait être largement rétribuée en retour de ces précieuses communications.

Cette idée, que le Directoire n’avait pas eu le loisir d’examiner, Claude Chappe la soumit au premier consul. Seulement il ne se bornait pas à appliquer la télégraphie privée aux besoins du commerce. Il s’adressait, calcul d’un résultat certain, à la plus forte passion des hommes : à la cupidité. Il proposait de signaler par le télégraphe, les numéros sortants de la loterie.

Cette idée était d’autant plus heureuse que la loterie rencontrait en province, une grande cause d’embarras. Il était permis de prendre des billets, dans les villes des départements, jusqu’à l’heure dernière où la liste des numéros gagnants arrivait par la poste, c’est-à-dire plusieurs jours après la clôture officielle des bureaux de Paris, faite après la publication des numéros gagnants. Cette latitude laissée aux bureaux de province, gênait beaucoup l’administration de la loterie, car la fraude trouvait toujours quelque moyen, sinon de connaître les numéros sortis à Paris, du moins de le faire accroire, de sorte que les offices particuliers des départements gênaient considérablement ceux de la capitale.

C’est là ce que fit valoir très-habilement Claude Chappe.

Les administrateurs de la loterie parisienne saisirent avec empressement sa proposition.