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notre foyer ; sautant alors avec la plus grande légèreté par-dessus les édifices, nous échappâmes à ces premiers hôtes, qui restèrent interdits. Poursuivant ensuite notre route, nous découvrîmes cette forêt immense qui conduit à Compiègne. Connaissant peu la topographie de ce canton, ne voyant dans l’éloignement aucune place favorable à notre descente, et craignant d’ailleurs que nos prévisions ne cessassent avant d’avoir traversé les bois, je crus qu’il serait plus sage de mettre pied à terre dans le dernier carrefour distant de treize lieues de Versailles, que de s’exposer à terminer cette expérience par l’embrasement de la forêt.

« Les vessies qui faisaient ressort sous notre galerie rendirent notre descente si douce, que mon compagnon me demanda si nous arrivions bientôt à terre. Je m’emparai de notre pavillon, puis je voulus servir d’écuyer à M. Proust ; nous débarrassâmes notre vaisseau des combustibles qui restaient ; nos habits, nos instruments, tout fut mis en sûreté.

« Vingt minutes après notre descente, le vent, ainsi que je l’avais annoncé à M. le contrôleur général, en présence de la reine et de M. le comte de Haga, souffla fortement sur le haut de la montgolfière, qui, dans son renversement, entraîna la galerie et le réchaud qui y adhérait ; la flamme, s’échappant alors par la grille de ce fourneau, se porta sur quelques cordages de la galerie ; les toiles en étaient très-éloignées, nous cherchâmes à les séparer par une section ; malheureusement nous restâmes seuls pendant plus d’une demi-heure, travaillant ardemment avec un très-mauvais couteau ; le temps était précieux, je craignais que le feu, en se propageant, n’occasionnât un embrasement général ; mon instrument ne satisfaisant point à mon impatience, je le rejetai ; déchirant alors la laine, je l’écartai des flammes ; mais, parvenu aux cordages qui retenaient notre galerie, l’usage du couteau me devint indispensable ; je le cherchai inutilement ; le temps s’écoulait, le feu avait gagné les cordages, et bientôt la galerie ; sa substance était très-combustible, il n’y avait plus un instant à perdre, il fallait sauver les pièces essentielles, la calotte et le cylindre étaient neufs ; nous séparâmes aussitôt ces deux parties, la curiosité fit accourir deux hommes, dont j’animai l’ardeur par l’espoir d’une récompense ; résolu de sacrifier le cône de la montgolfière, qui avait beaucoup servi aux expériences de Versailles et de la Muette, nous transportâmes au loin les objets garantis.

Fig. 270. — Descente de Blanchard à Billancourt (page 457).

« Les seigneurs des environs arrivaient de toutes parts ; le peuple s’approchait en foule, je distribuai la partie du cône pour arrêter le désordre et satisfaire les désirs. M. de Combemale, qui ne tarda pas à contenir la foule, s’empressa de me seconder ; à sa voix tout le monde obéit, et on conduisit la montgolfière dans un château voisin ; plusieurs personnes nous offrirent leur maison ; nous montâmes à cheval pour nous rendre chez M. de Bieuville, accompagné de M. le président Molé et de M. de Nantouillet. S. A. S. Mgr le prince de Condé, ayant jugé, d’après le vent, que nous serions portés dans ses domaines, avait ordonné de placer à midi un observateur sur les combles du château ; dès qu’il eut aperçu la montgolfière, il nous expédia quatre piqueurs, qui nous cherchèrent dans la forêt ; le prince voulut bien aussi monter en voiture, ainsi que Mgr le duc d’Enghien et mademoiselle de Condé. Le premier des piqueurs que nous rencontrâmes m’ayant fait part des dispositions favorables de S. A. S., je priai M. de Bieuville de nous permettre d’accepter cette marque de bienveillance ; ce jeune militaire se prêta à nos désirs avec toute l’honnêteté possible ; il porta même la complaisance jusqu’à nous accompagner au rendez-vous de chasse, appelé la Table. Le prince n’y étant point encore arrivé, j’osai me faire conduire au château de Chantilly. »