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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/471

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Arrivés devant le presbytère, nous fîmes attacher les quatre grandes cordes du cercle équatorial, que nous avions ramenées à nous au moment de notre départ, et nous mîmes pied à terre, laissant notre aérostat assez élevé pour que l’on ne pût rien y toucher.

Nous n’étions pas encore entrés dans la maison, que nous eûmes la satisfaction de voir entrer successivement M. le président de Vesvrotte, M. Amelot de Chaillon, M. le marquis de Sassenay, et plusieurs de nos amis qui nous avaient suivis, à cheval, à travers les champs et les bois, et qui furent bien étonnés d’apprendre qu’ils n’étaient qu’à quatre lieues et demie de Dijon, en ayant fait neuf ou dix.

Notre expérience n’était pas finie ; et nos agrès étant tout entiers comme à l’instant de notre départ, nous nous proposions toujours d’essayer à quel degré près du vent nous pourrions nous diriger s’il devenait plus fort et plus réglé ; nous n’avions pas osé verser nos bouteilles d’eau pour prendre de l’air lors de notre plus grande ascension, dans la crainte de nous délester ; nous avions remis cette opération au moment où, le ballon ne pouvant porter qu’un de nous, le jeu des manœuvres serait beaucoup plus difficile. Nous avions cru devoir, pour notre sûreté, placer à l’extrémité de l’avant un conducteur formé par une tresse de galon faux, de 100 pieds de longueur, terminé en haut par une pointe de laiton, en bas par huit branches divergentes sur un cercle de baleine. Nous avions suspendu près de la pointe un électromètre, mais il s’était trouvé trop élevé pour qu’il nous fût possible d’en observer le jeu depuis la gondole ; il était intéressant de le replacer plus à portée de notre vue. Nous désirions enfin essayer l’effet des rames de l’équateur, pour déterminer la descente, ce qui ne nous avait pas été possible jusque-là, parce que les cordes frottaient trop rudement sur le taffetas, lorsque nous avions voulu le tenter, le ballon plein, et que cette manœuvre aurait pu nous faire illusion, lorsque la partie inférieure s’aplatissait naturellement.

Il nous vint en pensée que nous pourrions nous faire mener à la remorque jusqu’à Dijon. Comme nous étions venus à Étevaux, nous y avions laissé les appareils tout dressés, et des matières pour remettre en peu d’heures notre ballon au même état qu’il avait été le matin ; il nous était donc facile de compléter le lendemain notre expérience sous les yeux de MM. les souscripteurs.

Nous partîmes d’Étevaux à midi et demi, dans cette résolution ; nous prîmes la route de Dijon assis dans notre gondole, quatre habitants d’Étevaux tenant nos quatre cordes, et quatre autres marchant à côté de nous pour soutenir la gondole qui baissait, par la direction qu’on donnait aux grandes cordes pour tirer le ballon. Nous marchâmes ainsi jusqu’à la hauteur de Couternon, Z, c’est-à-dire près de deux lieues et demie, accompagnés d’un nombreux cortège, qui se grossissait à mesure que nous avancions, et recevant, sur toute la route, et dans les villages où nous passions, des témoignages marqués de la satisfaction publique. Nous remarquâmes seulement quelques femmes et des enfants en petit nombre qui s’enfuyaient dans les champs à notre approche. Un seul cheval de tous ceux que nous rencontrâmes parut prendre l’effroi, et fit passer dans le fossé la voiture à laquelle il était attelé, mais sans aucun accident.

Lorsque nous passâmes sur les petits ponts vis-àvis de Couternon, il s’éleva de ce côté un vent très-vif qui porta le ballon au nord. Étant arrêté par les cordes, cette force tendait à le coucher ; le cercle équatorial cassa en plusieurs endroits ; les rames de la gondole portèrent à terre : tous les agrès couraient risque d’être brisés ; la soupape s’ouvrit plusieurs fois par la position que prenait le ballon, et qui tendait le cordon. Il fallut sur-le-champ désappareiller. Un voyageur nous offrit obligeamment de prendre sur le devant de sa voiture la gondole, ses rames, et tout ce qui pouvait se plier. Nous fîmes porter à la main les bois du gouvernail et les rames de l’équateur ; le ballon ainsi déchargé fut ramené à Dijon jusque dans l’enclos d’où il était parti et M. le prieur de Mirabeau nous ramena lui-même dans sa voiture à la ville, où nous arrivâmes vers les 4 heures du soir.

Ainsi, nous n’eûmes à regretter de cet accident que la satisfaction de revenir au point de notre départ dans notre aérostat, conduits à la remorque, et plus encore la possibilité de répéter et de compléter l’expérience le lendemain, comme nous nous en étions flattés.

Après avoir décrit avec l’exactitude la plus scrupuleuse tout ce que nous avons fait et observé, nous croyons devoir ajouter ici quelques réflexions qui peuvent contribuer au progrès de l’art aérostatique et qui auraient interrompu le fil de la narration.

Lorsque le vent était sensible, la résistance latérale de l’avant décidait peu à peu l’aérostat à prendre une position parallèle au courant, la proue fendant l’air.

Par un vent moins fort, le gouvernail restant dans le milieu de l’arc de sa révolution sans y être assujetti, s’est quelquefois présenté le premier et nous marchions par l’arrière. Quelquefois aussi l’avant et le gouvernail faisaient voile, et nous étions portés quelques instants par le travers. Il nous était facile d’observer toutes ces évolutions en regardant l’ombre très-prononcée de l’aérostat sur les champs que nous traversions ; mais cela ne durait qu’autant que nous ne faisions aucune manœuvre ; le gouvernail seul a toujours décidé la position ; le déplacement était plus prompt, quand on faisait travailler en même temps les rames de l’équateur et même de la gondole.

Pour s’assurer de l’effet du gouvernail, M. de Virly m’avait proposé, dès que nous fûmes élevés, de manœuvrer, pour placer à l’avant un chemin qui