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ment qui, nous occupe[1]. Voici le texte de cet acte d’association.

« Je soussigné, déclare m’être associé avec M. Romain pour la construction d’une montgolfière à gaz inflammable, destinée à notre passage en Angleterre, et je m’engage à lui payer la somme de sept mille quatre cents livres, sous les conditions suivantes : 1o que nous ne serons que deux dans ce voyage ; 2o que la montgolfière sera construite d’après la forme et les dimensions dont je serai convenu par écrit ; 3o qu’elle sera remplie de gaz inflammable pendant plusieurs jours, afin que je puisse juger si la rupture d’équilibre et les enveloppes sont suffisantes pour conserver le gaz, de manière à tenter cette expérience sans danger ; 4o que le lieu de l’expérience sera déterminé à ma volonté ; 5o enfin je m’oblige de payer cette somme de sept mille quatre cents livres, avant notre départ qui sera fixé au plus tard à la fin d’octobre prochain ; ce qui se fera gratuitement pour le public. Fait double entre nous à Paris, ce 17 septembre 1784.

pilâtre de rozier. »

C’est à Paris, avons-nous dit, que fut construit le ballon de Pilâtre, par les frères Romain. Le public fut admis pendant quelques jours, à le visiter dans une des salles des Tuileries, moyennant rétribution. Au mois de décembre 1784, l’aéro-montgolfière fut envoyée à Boulogne, avec les substances propres à la fabrication du gaz hydrogène, c’est-à-dire l’acide sulfurique et les copeaux de fer. Pilâtre et Romain arrivèrent à Boulogne, le 21 décembre.

Leur arrivée ne fut pas accueillie dans cette ville, par des témoignages encourageants. Déjà la malignité s’exerçait contre l’aéronaute et contre son ballon. Une lettre écrite de Boulogne le 22, et insérée dans les Mémoires secrets de Bachaumont, montre les mauvaises dispositions du public bolonais, contre Pilâtre de Rozier, qui n’avait pas eu le bonheur de lui plaire. On trouvait que ce savant, venu de Paris, avait des allures trop doctorales envers la province. On lit dans cette lettre :

« Nos physiciens ont interrogé le sieur Pilâtre, qui n’est pas foncé et parle mal. Mais le défaut de savoir est compensé chez lui par une grande audace, par une activité prodigieuse et par un esprit d’intrigue inconcevable, qui lui a fait supplanter tous ses concurrents, bien plus dignes de la confiance du gouvernement, surtout M. Charles. »

Les faveurs accordées par le ministre Calonne, à Pilâtre de Rozier, faveurs qu’on exagérait beaucoup, avaient suscité ces mauvaises dispositions contre l’aéronaute. Son ballon n’était pas plus épargné que lui.

« Il est doré comme un bijou, écrit le correspondant ; on voit qu’il n’a pas été fabriqué aux dépens d’un particulier. C’est le plus joli colifichet du monde. Entre les peintures qui en décorent le pourtour, on lit ces deux mauvais vers en l’honneur de M. le contrôleur général, qui a fourni à la dépense :

« Calonne, des Français soutenant l’industrie,
Inspire les talents, les arts et le génie ;


mais ce distique sera mieux payé que ne l’a été le poëme de Milton. »

On voit que c’étaient bien les subsides accordés par le gouvernement qui provoquaient la verve railleuse des critiques. Cette précoce diatribe, lancée avant même qu’aucun préparatif ne fût commencé, ressemble assez à un mot d’ordre, qui aurait été envoyé de Paris, par les rivaux de Pilâtre de Rozier, c’est-à-dire Blanchard, Charles et Robert.

Cependant Pilâtre et Romain se mirent à l’œuvre, et l’ascension fut annoncée pour le 1er janvier 1785. L’aérostat était déposé dans l’établissement de bains de mer qui porte aujourd’hui, à Boulogne, le nom d’Hôtel des bains. Mais l’ascension n’eut pas lieu à l’époque désignée. Bien plus, Pilâtre partit pour l’Angleterre, laissant Romain à Boulogne. Il se rendait à Douvres, où sans doute il voulait voir Blanchard, qui préparait en ce moment, sa traversée de la Manche en ballon. On ne s’expliquait pas beaucoup cette absence à Boulogne, et l’on écrivait à Romain, de Calais :

« Nous avons eu ici, pendant deux jours, des vents du sud-sud-est avec un temps très-fin et très-clair,

  1. L’année historique de Boulogne-sur-mer, recueil de faits et d’événements intéressant l’histoire de cette ville, et rangés selon leurs jours anniversaires, par M. F. Morand, correspondant du Ministre de l’Instruction publique pour les travaux historiques. In-18, Boulogne-sur-mer, 1858.