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connaissance, était fort impressionné, et ne savait comment se mettre à l’abri de ces espions d’un nouveau genre. On lit dans les Mémoires sur Carnot que quelques soldats autrichiens, qui n’avaient jamais vu de ballon, s’agenouillaient et se mettaient en prière à la vue de ce prodige[1].

Les Autrichiens essayèrent de détruire l’aérostat, à coups de canon. Ayant remarqué qu’il s’élevait tous les jours du même point, ils établirent, pendant la nuit, dans un ravin, une pièce de 17, et au moment où l’aérostat s’élevait (c’était le cinquième jour de ses opérations), la pièce embusquée tira sur lui. Le premier boulet passa par-dessus ; le second passa si près, que l’on crut le ballon percé ; un troisième boulet passa au-dessous. On tira encore deux coups, sans plus de succès. Le signal de descendre fut alors donné par Coutelle, et exécuté en quelques instants. Le lendemain, la pièce autrichienne n’était plus en position. On laissa l’aérostat continuer ses opérations, sans l’inquiéter autrement que par quelques coups de carabine, qui ne l’atteignaient pas à la hauteur où il se trouvait.

Le baron de Selle de Beauchamp, dans la brochure qu’il a consacrée au souvenir de ses campagnes, donne une description intéressante des opérations qu’il fallait effectuer pour remplir le ballon de gaz hydrogène, et des premières ascensions des aérostiers militaires.

« Les premiers essais de remplissage d’un ballon avaient été faits, à Meudon, sous les auspices du physicien Conté et du représentant Guyton de Morveau. Ils étaient parvenus à dégager le gaz hydrogène de l’oxygène, par la décomposition de l’eau sur le fer rougi à blanc, mode qu’on avait préféré à l’emploi de l’acide sulfurique, comme moins coûteux ; pour arriver à ce résultat, voici comment on opérait. Nous construisions sur le lieu même, un grand fourneau à réverbère, garni de deux cheminées à chaque bout ; ce fourneau en briques, solidement établi, on y plaçait sept tubes de fonte venant du Creuzot, que l’on emplissait préalablement de limaille et de tournure de fer, vannée et purgée de rouille, comme on vanne du grain, manipulation qui, pour le dire en passant, était une de nos plus pénibles corvées ; puis, ces tubes remplis et lutés aux deux bouts étaient placés dans le fourneau par quatre dessous et trois au-dessus, clos et mastiqués par d’autres briques, de manière à ce qu’il ne restât que deux ou trois regards, afin de surveiller l’incandescence : d’un côté du fourneau, se plaçait une cuve longue et élevée, pour fournir l’eau à chaque tube, par de petits tuyaux adaptés à la cuve ; de l’autre côté, se trouvait une autre grande cuve carrée remplie d’eau saturée de chaux, dans laquelle le gaz devait s’échapper pour s’y purger de son carbone ; ces préparatifs terminés, on faisait dans chacune des cheminées un grand feu de menu bois, qui y était entretenu jusqu’à ce que les tubes de fonte fussent rougis à blanc ; l’eau descendant de la cuve supérieure dans chacun des tubes ainsi rougis, y déposait sa portion d’oxygène, tandis que l’hydrogène passait dans la cuve supérieure, et, s’y purgeant du carbone, se rendait par son excès de légèreté dans un tuyau de caoutchouc qui l’introduisait dans le globe aérostatique, se gonflant à mesure qu’il se remplissait. Toutes ces opérations exigeaient les soins les plus minutieux ; le feu devait être entretenu de manière que la chaleur et la flamme restassent également réparties sur tous les tubes ; il fallait veiller à ce qu’il ne se formât pas sur l’un d’eux ni couleur, ni fente qui pussent donner passage au gaz, ce qu’on apercevait facilement par une petite flamme bleuâtre qui se manifestait à cet endroit : ces fuites étaient fort difficiles à arrêter dans cet état d’incandescence ; cependant on en venait à bout, non sans peine et même sans danger. L’opération du remplissage durait assez ordinairement de trente-six à quarante heures, pendant lesquelles il ne s’agissait pour nous ni de dormir, ni presque de manger ; aussi vîmes-nous plus d’un soldat mis en réquisition, pendant que quelques-uns de nos hommes étaient aux hôpitaux, n’attendre qu’avec grande impatience le moment de retourner à leur corps.

« Revenons maintenant à notre première opération que je viens de décrire, et dont la réussite nous fit oublier toutes nos fatigues. C’était, en effet, le beau côté de la médaille ; l’aérostat, magnifiquement gonflé, enlevait facilement deux personnes et 120 à 140 livres de lest ; ce lest se composait de sacs en toile ou canevas, que l’on emplissait de terre ou de sable, et que l’on vidait à mesure de la déperdition de la force ascensionnelle ; on sent bien que le but que l’on se proposait en élevant cette tour d’observation eût été manqué, si, au lieu de s’élever à ballon captif, c’est-à-dire retenu par deux cordes, on fût monté à ballon libre, car la descente ne s’effectuant pas au point du départ, les rapports des observateurs, retardés par l’éloignement, n’eussent pas conservé l’à-propos qui en faisait le mérite ; il avait

  1. Mémoires sur Carnot, publiés par son fils, in-8. Paris, 1866, tome Ier.