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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/503

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donc fallu forcer l’aérostat à rester stationnaire, et le seul moyen avait été d’adapter à la corde hémisphérique du filet deux autres cordes filées exprès, qui portaient environ 400 mètres de longueur, que l’on pouvait, en cas de besoin, allonger encore jusqu’à 1 800 pieds.

« Notre première ascension se fit au bruit du canon et aux hourras de la garnison de la place. Le rapport fait à la descente par l’officier du génie qui avait accompagné le capitaine, fut tellement clair et circonstancié, qu’il paraissait impossible désormais à l’ennemi de faire un mouvement qui ne fût pas aussitôt connu dans la place. On s’aperçut, par exemple, que le nombre de tentes apparentes dans le camp devait être bien supérieur à celui nécessaire pour l’effectif qui les habitait, car nos observateurs avaient pu en juger approximativement ; nos lunettes permettaient de compter les carreaux de vitres à Mons, distant de cinq lieues de pays. L’effet moral produit dans le camp autrichien par ce spectacle si nouveau fut immense ; il frappa surtout les chefs, qui ne tardèrent pas à s’apercevoir que leurs soldats croyaient avoir affaire à des sorciers. Pour combattre cette opinion et relever leur courage, on résolut, dans leur conseil, d’abattre, s’il était possible, une aussi fatale machine ; or, dès qu’il fut reconnu que chaque jour l’aérostat s’élevait dans le même emplacement, derrière le même cavalier, ils firent placer deux pièces de canon dans un chemin creux, et lorsque l’aérostat s’éleva le matin, majestueusement dans les airs, un premier boulet, passant au-dessus de l’enveloppe, alla tomber à toute volée dans le camp retranché, puis aussitôt un autre boulet frisa le dessous de la nacelle portant notre capitaine, qui accueillit la double détonation au cri de vive la République ! Cette explosion ne nous mît pas, nous autres, en si belle humeur, car nous calculions que, si l’effet des boulets manquait son but, l’ennemi pourrait bien s’aviser de procéder par la bombe ou l’obus, qui, tombant dans le jardin où nous tenions les cordes, auraient bien pu déranger le personnel et le matériel de l’ascension. Cette idée ne leur vint pas, ou plutôt on ne leur en donna pas le temps, car, dès le lendemain, on fit venir de Lille un certain sergent d’artillerie qui, sur le seul aspect du terrain, promit au général de démonter les pièces qu’on pourrait amener au lieu d’où elles avaient tiré ; probablement cette promesse fut connue de l’ennemi, qui ne se représenta pas, et nous laissa dorénavant faire tranquillement nos observations[1]. »

Cependant le général Jourdan se préparait à investir Charleroi. Il attachait une importance extrême à l’enlèvement de cette place, qui devait ouvrir la route de Bruxelles. Coutelle reçut à midi, l’ordre de se porter, avec son ballon, à Charleroi, éloigné de douze lieues du point où il se trouvait, pour y faire diverses reconnaissances. Le temps ne permettant pas de vider le ballon pour le remplir de nouveau sous les murs de la ville, Coutelle se décida à faire voyager son ballon tout gonflé.

Ce n’était pas une entreprise facile que de transporter ainsi l’aérostat gonflé de Maubeuge à Charleroi. Il fallait d’abord lui faire traverser une partie de Maubeuge, par-dessus les maisons. Il fallait ensuite le faire sortir de la ville ; et là était le point périlleux. Maubeuge était entourée, en grande partie, par l’armée ennemie, qui l’avait enveloppée, d’un côté, de fossés et de tranchées ou de murs de bastion. Il fallait tromper la surveillance des assiégeants ; et l’on comprend quelle tâche ce devait être de dérober à l’ennemi la vue d’une machine ronde, de 9 mètres de diamètre, élevée à 10 mètres au-dessus du sol.

C’est pourtant ce qui fut fait, et voici comment. On passa un jour et une nuit à attacher à l’équateur du filet de l’aérostat, seize cordes, d’une longueur suffisante. Seize hommes furent chargés de tenir, chacun, une de ces cordes. On franchit ainsi les jardins du collége, puis les rues, en maintenant le ballon par-dessus les toits ; et l’on arriva à l’une des portes, dans la partie de la ville laissée libre par l’ennemi.

À 2 heures du matin, on descendit le premier rempart. Des échelles étaient disposées, pour descendre dans le premier fossé. La moitié des hommes descendit en allongeant les cordes ; tandis que l’autre moitié attendait au bord du fossé. Quand la moitié des hommes eut remonté le fossé, à l’aide d’autres échelles disposées de l’autre côté, la seconde moitié prit le même chemin, descendit, puis remonta le fossé, au moyen des échelles ; tout

  1. Souvenirs de la fin du xviiie siècle, Extraits des mémoires d’un officier des aérostiers, aux armées de Sambre-et-Meuse, Pages 37-41.