Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/519

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moitié plus légère, on naviguerait parfaitement. Mais il est bien important que les flancs du bâtiment dépassent de quatre-vingt-trois toises le niveau de la région de la grêle ; sans cela, dans les mouvements du navire, l’air plus pesant y pénétrerait, et le bâtiment sombrerait !

Comment arrive-t-on à transporter le vaisseau dans la région de la grêle ? Le père Galien ne s’explique pas sur cette question, qui aurait son importance. En revanche, il nous donne des détails très-circonstanciés sur la taille et la construction de son navire.

« Le vaisseau, dit-il, serait plus long et plus large que la ville d’Avignon, et sa hauteur ressemblerait à celle d’une montagne bien considérable. Un seul de ses côtés contiendrait un million de toises carrées ; car 1 000 est la racine carrée d’un million. Il aurait six côtés égaux, puisque nous lui donnons une figure cubique. Nous supposons aussi qu’il fût couvert ; car, s’il ne l’était pas, il ne faudrait avoir égard qu’à cinq de ses côtés pour mesurer combien pèserait le corps de tout le vaisseau, indépendamment de sa cargaison, en lui donnant deux quintaux de pesanteur par toise carrée. Ayant donc six côtés égaux, et chaque partie étant de 1 000 000 de toises carrées, dont chacune pesant deux quintaux, il s’ensuit que le corps de ce vaisseau pèserait 12 000 000 de quintaux, pesanteur énorme, au delà de dix fois plus grande que n’était l’arche de Noé, avec tous les animaux et toutes les provisions qu’elle renfermait. »

Ici le P. Galien s’arrête pour calculer le poids de cette arche célèbre, et cette digression l’éloigne un peu de son vaisseau. Cependant il y revient, et continue en ces termes :

« Nous voilà donc embarqués dans l’air avec un vaisseau d’une horrible pesanteur. Comment pourra-t-il s’y soutenir et transporter avec cela une nombreuse armée, tout son attirail de guerre et ses provisions de bouche, jusqu’au pays le plus éloigné ? C’est ce que nous allons examiner. »

Nous ne suivrons pas le P. Galien au milieu de la fantaisie de ses calculs imaginaires. Tout cela n’est qu’une espèce de rêve philosophique. Ce qui prouve que le P. Galien, en donnant son Traité sur l’art de naviguer dans les airs, n’a jamais prétendu écrire, comme on l’a dit, un ouvrage sérieux, c’est qu’il s’exprime de la manière suivante, dans un avertissement placé en tête de son livre :

« Quant à la conséquence ultérieure de pouvoir naviguer dans l’air, à la hauteur de la région de la grêle, je ne pense pas que cela expose jamais personne aux frais et aux dangers d’une telle navigation ; il n’est question ici que d’une simple théorie sur sa possibilité, et je ne la propose, cette théorie, que par manière de récréation physique et géométrique. »

Dans son petit ouvrage sur les ballons, M. Julien Turgan rapporte un fait qui se serait passé à Lisbonne.

« Dans une expérience publique, faite à Lisbonne, en 1736, en présence du roi Jean V, un certain Gusman, physicien portugais, s’éleva, dit M. Turgan, dans un panier d’osier recouvert de papier. Un brasier était allumé sous la machine ; mais, arrivée à la hauteur des toits, elle se heurta contre la corniche du palais royal, se brisa et tomba. Toutefois la chute eut lieu assez doucement pour que Gusman demeurât sain et sauf. Les spectateurs, enthousiasmés, lui décernèrent le titre d’Ovoador (l’homme volant). Encouragé par ce demi-succès, il s’apprêtait à réitérer l’épreuve, lorsque l’inquisition le fit arrêter comme sorcier. Le malheureux aéronaute fut jeté dans un in-pace, d’où il serait sorti pour monter sur le bûcher sans l’intervention du roi[1]. »

M. Turgan rapporte à l’année 1736 cette histoire romanesque. Selon d’autres auteurs, cette expérience eut lieu en 1709, et Gusman était un moine de Rio-Janeiro, qui avait été conduit à faire cette expérience, en voyant une coquille d’œuf flotter dans l’air.

Nous expliquerons ces divergences en faisant remarquer que ce Gusman a été confondu avec un autre Portugais, Barthélémy Lourenço, qui, en 1736, fit à Lisbonne, une expérience qui laissa un vif souvenir dans la mémoire des habitants de cette ville. Voici, en effet, ce que nous trouvons dans un ouvrage d’un auteur contemporain du fait, et cet éclaircissement nous paraît devoir dissiper la confusion qui a été commise par bien des écrivains, entre Gusman et Barthélémy Lourenço, en admettant, toutefois, comme réelle l’ascension malheureuse de l’Ovoador.

  1. Les Ballons, par Julien Turgan, in-12, Paris, 1851, page 9, Introduction, par Gérard de Nerval.