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facilitait considérablement la composition et la traduction des dépêches. Ajoutons que, pour dérouter les observations indiscrètes, l’administration avait soin de changer fréquemment la clef du vocabulaire.

Quant aux signaux destinés simplement à la police de la ligne, on comprend que l’emploi de tout vocabulaire était superflu. Les signaux formés sur l’oblique de gauche, affectés spécialement à cette destination, étaient connus de tous les employés. Ils exprimaient les avis transmis par l’administration : l’urgence, le but, la destination de la dépêche, les congés d’une heure, d’une demi-heure, l’erreur commise sur un signal, l’absence d’un employé ; en un mot, tous les cas qui peuvent être prévus, depuis l’absence ou le retard d’un stationnaire, jusqu’à la destruction d’un télégraphe par le vent ou la foudre. Ces sortes d’avis parcouraient la ligne avec la rapidité de l’éclair, et l’administration était instruite en un clin d’œil de la nature de l’obstacle rencontré par la dépêche et du lieu précis où elle s’était arrêtée.

La vitesse de transmission des dépêches variait suivant la distance. On recevait à Paris les nouvelles de Calais (68 lieues) en trois minutes, par trente-trois télégraphes ; celles de Lille (60 lieues) en deux minutes, par vingt-deux télégraphes ; celles de Strasbourg (120 lieues) en six minutes et demie, par quarante-quatre télégraphes ; celles de Brest (150 lieues) en huit minutes, par cinquante-quatre télégraphes ; celles de Toulon (267 lieues) en vingt minutes, par cent télégraphes.

Nous compléterons les indications qui précèdent sur un service qui a toujours été très-peu connu, en rapportant quelques pages de l’Histoire administrative de la télégraphie aérienne en France, par M. É. Gerspach, ouvrage que nous avons eu déjà tant d’occasions de citer.

« Il eût été difficile, dit l’auteur, de se faire entendre des stationnaires, gens pour la plupart illettrés, avec les mots plans, angles, degrés, pour désigner les signaux ; l’inspecteur Durant eut l’idée très-heureuse de donner aux signaux des noms faciles, en rapport avec les positions. Les angles de 45, 90, 135 degrés de l’indicateur furent désignés par les nombres cinq, dix, quinze, suivis des mots ciel ou terre selon que la position était dans le plan supérieur ou inférieur ; la septième position (l’indicateur replié) fut appelée zéro ; les deux indicateurs au zéro déterminaient le fermé. Quant à la position du régulateur, on l’indiquait par le mot perpen, lorsqu’elle était verticale. Les signaux s’énonçaient en commençant toujours par l’indicateur placé à la partie supérieure pendant la formation du signal. Voici quelques exemples de ce langage : dix ciel quinze terre, — cinq ciel quinze terre perpen, — quinze terre zéro. L’application de la méthode Durant facilita d’une manière étonnante le travail de la transmission, elle était simple et à la portée de tous.

Le service des lignes était admirablement organisé : le passage des signaux, l’indication de la nature des dépêches, la transmission des avis d’interruptions et de dérangements, les incidents, tout était réglé de manière à ne laisser aucun doute dans l’esprit des stationnaires, et à faire connaître immédiatement aux postes de direction la cause et le lieu des arrêts de transmission. Nous ne pouvons entrer ici dans tous les détails de cette organisation ; nous en citerons seulement quelques points.

Dès que l’employé apercevait un signal à l’une des stations correspondantes, il mettait son régulateur en mouvement, lui faisait prendre la position oblique, composait le signal et le portait, tout composé, sur l’horizontale ou la verticale, ce qui s’appelait assurer le signal ; il ne changeait le porté que lorsque le signal était reproduit par le poste suivant. Le passage d’un signal exigeait les opérations suivantes : observer le signal formé par le correspondant, le former à l’oblique, observer s’il est porté sur l’horizontale ou la verticale, le porter de même, l’écrire sur un procès-verbal, et enfin vérifier s’il est exactement reproduit par le poste suivant.

Chaque dépêche était précédée d’un signal particulier, qui était la grande urgence ou la grande activité, quand la dépêche s’éloignait de Paris, et la petite urgence ou la petite activité, quand la dépêche marchait sur Paris. La dépêche précédée de la petite urgence l’emportait sur celle qui était précédée de la grande activité, mais devait céder le pas devant la grande urgence. Ainsi, lorsque deux dépêches se croisaient en un point de la ligne, le signal précédant ces dépêches faisait connaître au stationnaire s’il devait abandonner sa transmission pour prendre celle qui lui arrivait en sens opposé. Si, par exemple, il transmettait une dépêche précédée de la petite urgence, et s’il voyait arriver la grande urgence, il abandonnait son signal, et la dépêche précédée de la grande urgence passait. Après sa transmission, chaque stationnaire