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reprenait le signal qu’il avait abandonné, et la transmission de la première dépêche continuait.

Il arrivait souvent que la dépêche, étant arrêtée par le brouillard entre deux postes, celui qui cessait de voir son correspondant arborait un signal particulier, brumaire, qu’il transmettait du côté opposé, en le faisant suivre d’un autre signal particulier, indicatif, faisant connaître le poste qui n’était pas aperçu. Chaque employé abandonnait alors le signal de la dépêche pour prendre le signal du brumaire, jusqu’au moment où, le brouillard se dissipant, le poste qui avait arrêté la transmission la reprenait en relevant le brumaire. Afin de tenir les employés en haleine pendant la durée d’un brumaire, et pour qu’ils fussent toujours présents à leurs postes et prêts à recommencer la transmission, les employés des postes extrêmes avaient ordre, de temps en temps (toutes les quatre ou cinq minutes), de rattaquer, ce qui consistait à reprendre le dernier signal transmis ; chaque employé devait à son tour développer le signal auquel il s’était arrêté : quand ce rattaqué arrivait au dernier poste, le stationnaire transmettait de nouveau le brumaire, qui faisait connaître que la cause de l’interruption subsistait toujours.

Lorsqu’un employé ne prenait pas le signal qui lui était présenté par son correspondant, celui-ci transmettait le signal absence, suivi de l’indicatif du poste. Ces absences étaient constatées sur les procès-verbaux et punies sévèrement.

Il existait d’autres signaux réglementaires, tels que le petit dérangement, qui indiquait un dérangement facilement réparable par le stationnaire lui-même, la rupture d’une corde, par exemple ; le grand dérangement, qui nécessitait la présence de l’inspecteur (ces signaux étaient toujours suivis de l’indicatif du poste où avait lieu le dérangement) ; l’erreur, qui annulait le signal précédent, et l’attente, qui indiquait aux employés qu’ils devaient se tenir prêts à prendre une transmission.

La transmission n’était pas continue sur les lignes ; sur quelques-unes on passait à peine deux ou trois dépêches par jour. Afin de ne pas forcer les employés à regarder constamment à leurs lunettes, on avait des signaux particuliers représentant des congés d’un quart d’heure, d’une demi-heure, d’une heure, etc. Lorsque le congé était donné, l’employé fermait son télégraphe (fermé vertical), et pouvait s’absenter. À l’expiration du congé, les deux postes extrêmes le relevaient en transmettant la grande et la petite activité, ils s’assuraient que la ligne était en bon état, et donnaient un nouveau congé, s’il n’y avait aucune dépêche à transmettre.

Pour exercer les employés sur les lignes peu occupées, on transmettait des dépêches d’exercice. Ces dépêches, toujours précédées de la grande ou petite activité, devaient céder le pas devant les dépêches officielles de la grande ou de la petite urgence[1]. »

Cinquante ans de service ont suffisamment montré les avantages de la télégraphie aérienne ; cependant cette télégraphie avait de nombreuses imperfections, et il nous reste à les signaler.

Les signaux se transmettent à travers l’atmosphère ; par conséquent ils sont soumis à tous les accidents, à toutes les vicissitudes atmosphériques. Les brouillards, les pluies abondantes, la fumée, le mirage, les brumes du matin et du soir, paralysent le jeu du télégraphe aérien. Claude Chappe avait constaté que, de son temps, le télégraphe ne pouvait fonctionner que six heures par jour, terme moyen. Souvent, pendant l’hiver, on ne pouvait travailler plus de trois heures par jour. Aussi, dans les moments où les dépêches à expédier étaient nombreuses, la moitié de ces dépêches seulement arrivait à destination le jour de leur date. La seconde moitié ne pouvait faire qu’une partie du trajet par le télégraphe ; il fallait en prévenir Paris, qui se décidait à l’expédier par la poste.

Bien que l’on admît, en principe, que le télégraphe pût former trois signaux par minute, en pratique on ne pouvait compter que sur l’arrivée d’un signal, par minute.

Le trouble que les variations de l’atmosphère apportaient au passage des signaux, était donc la difficulté fondamentale de ce système. Qui ne se souvient d’avoir vu, dans les journaux, sous Louis-Philippe, le texte des dépêches télégraphiques terminé par cette formule sacramentelle : « Interrompu par le brouillard. »

Outre le vice fondamental provenant des variations de l’atmosphère, il y avait, dans la télégraphie aérienne, un vice plus sérieux encore. On devine qu’il s’agit de l’absence des signaux pendant la nuit. Le repos forcé du télégraphe pendant toutes les nuits, laissait dans le service une lacune funeste, puisqu’il diminuait de moitié le temps de la correspondance. Pendant seize heures sur vingt-quatre en hiver, le télégraphe aérien était condamné

  1. Pages 93-95.