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travers une série de postes échelonnés, sans que les signaux, étalés librement aux yeux de tous, fussent compris par personne, sinon par l’expéditeur de Paris et le destinataire de Marseille.

Née dans notre patrie, la télégraphie aérienne, répandue promptement dans le monde entier, a inauguré l’ère féconde de la transmission rapide et lointaine de la pensée, au moyen de signaux. Elle a ainsi préparé la voie à une invention plus merveilleuse encore, celle de la télégraphie électrique, et ne s’est retirée devant elle, qu’après avoir rendu à notre pays des services dont le souvenir est impérissable.

À tous ces titres, nous croyons devoir, avant d’aborder la télégraphie électrique, consacrer une notice spéciale au télégraphe aérien.



CHAPITRE PREMIER

l’art des signaux chez les grecs, les romains et les orientaux, dans l’antiquité.

Comme l’indique son nom, tiré du grec et composé avec beaucoup de justesse de τῆλε, loin, et γράφω, j’écris, un télégraphe est un appareil qui écrit à longue distance, c’est-à-dire destiné à faire parvenir rapidement un message, à l’aide de signaux, entre deux points très-éloignés.

Chez tous les peuples et dans tous les temps, on a employé divers systèmes de signaux pour transmettre rapidement des avis d’un point à un autre. Il ne sera pas sans intérêt de jeter un coup d’œil sur les progrès de l’art des signaux, depuis son origine jusqu’à nos jours.

Si l’on remonte à l’époque la plus reculée de l’histoire, on trouve les premiers vestiges de la télégraphie attachés aux temps héroïques. Thésée, en partant pour la conquête de la toison d’or, avait arboré des voiles noires sur son vaisseau, promettant de leur substituer des voiles blanches, s’il revenait vainqueur. Mais il oublia cette promesse. À son retour, le vieil Égée, voyant apparaître le vaisseau avec ses mêmes voiles noires, crut que son fils avait succombé dans son entreprise, et il se précipita dans les flots.

Homère et Pausanias font mention des signaux de feu que Palamède et Simon employaient dans la guerre de Troie. C’est au moyen de flambeaux disposés dans un ordre convenu, que, même avant le siége de Troie, Lyncée annonça à Hypermnestre, qu’il avait échappé à Danaüs ; et c’est par un fanal placé sur le fort de la ville de Larisse, qu’Hypermnestre fit connaître, à son tour, qu’elle était hors de danger.

Le poëte Eschyle a décrit, dans sa tragédie d’Agamemnon, une sorte de ligne télégraphique. Il suppose qu’Agamemnon, pour annoncer à Clytemnestre la prise de Troie, avait échelonné, sur toute la route, des porteurs de flambeaux. Le poëte fait parler ainsi le dernier homme chargé d’observer ces signaux :

« Grâce aux dieux, l’heureux signal perce l’obscurité. Salut, flambeau de la nuit, qui fais luire un beau jour ! »

Clytemnestre s’empresse d’annoncer la bonne nouvelle au chœur tragique. On lui demande quel message a pu l’instruire si vite de cet événement glorieux, et la reine l’explique en ces termes :

« Celui qui nous a appris cette nouvelle, c’est Vulcain, au moyen des feux qu’il a allumés sur le mont Ida. De foyer en foyer, la flamme messagère a volé jusqu’ici. Du mont Ida, le signal lumineux a passé à Lemnos ; de cette île, le sommet du mont Athos a reçu le troisième signal. Ce signal provenant d’un flambeau résineux, a voyagé sur la surface des eaux d’Hellé, et a doré de ses rayons le poste de Maciste. Celui-ci n’a point tardé à remplir son devoir, et son fanal a bientôt averti les gardiens du Messape aux bords de l’Euripe ; ils y ont répondu, et ont transmis le signal en allumant un monceau de bruyère sèche, dont la clarté, parvenant rapidement au delà des plaines de l’Asope, jusqu’au mont Cithéréen, a continué la succession de ces feux voyageurs. Le garde de ce mont a allumé un fanal, dont la lueur a percé