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à l’immobilité. En mai et septembre, il ne pouvait fonctionner que douze heures, et durant les jours les plus longs de l’été, il devait encore se reposer huit heures. Aussi toutes les dépêches que l’on apportait après le coucher du soleil, étaient-elles forcément renvoyées au lendemain. Alors, nulle puissance humaine ne pouvait arracher le télégraphe à son fatal repos. Aux premières ombres du soir, il avait replié ses ailes ; comme un serviteur paresseux, il dormait jusqu’au lever de la prochaine aurore. Et pourtant de quelle importance n’aurait pas été, en tant d’occasions de notre histoire, l’existence d’une télégraphie nocturne ! L’émeute ou la bataille sont suspendues aux approches de la nuit ; dans ces heures de silence et de trêve, l’autorité publique a le temps d’organiser ses mesures. Les masses dorment, les chefs doivent veiller ; par leurs soins, sous l’ombre protectrice de la nuit, les ordres s’élancent dans toutes les directions avec la rapidité de la pensée, et le lendemain, quand le soleil monte sur l’horizon, la défense est prête ou l’attaque concertée.

Les données fournies par la science montrent, sous un autre aspect, les avantages de la télégraphie nocturne. La météorologie nous apprend que les nuits limpides sont plus fréquentes que les jours sereins. Presque tous les phénomènes atmosphériques qui, dans le jour, contrarient la transmission des signaux, perdent leur influence pendant la nuit. Jusqu’au lever du soleil, les fleuves, les bois, les marais, cessent de fournir des vapeurs. Le mirage est nul, les brouillards tombent avec le crépuscule. La nuit abaisse les vapeurs que le soleil avait élevées ; la nuit, les villes, les villages, les usines, ne répandent plus de fumée. Le refroidissement du soir précipite, il est vrai, l’eau répandue en vapeur dans l’atmosphère, et la résout en un brouillard léger ; mais ce phénomène ne se passe qu’à quelques pieds du sol, et n’atteint jamais la hauteur des régions télégraphiques. Il faut remarquer de plus que presque toujours des nuits sereines succèdent à des jours pluvieux, et réciproquement. En supposant donc la télégraphie nocturne établie conjointement avec la télégraphie de jour, il serait difficile que l’intervalle de vingt-quatre heures s’écoulât sans laisser quelques moments favorables au passage des signaux.

Ces considérations ont été si bien appréciées par toutes les personnes qui avaient la main à l’administration des télégraphes, que pendant trente ans on a fait de continuels efforts pour arriver à créer la télégraphie nocturne. Les frères Chappe n’avaient jamais perdu de vue cet objet capital. Leur premier appareil présenté en 1793 à la Convention nationale, était pourvu de lanternes, qui en faisaient un véritable télégraphe nocturne.

Il résulte des recherches assidues auxquelles les frères Chappe continuèrent de se livrer ultérieurement, que le problème de la télégraphie nocturne ne peut se résoudre que par ce moyen : éclairer pendant la nuit, les branches du télégraphe ordinaire. Malheureusement les essais pour cet éclairage ont presque tous échoué, et il est aisé de le comprendre, car les conditions à remplir sont aussi nombreuses que difficiles. Il faut que le combustible employé donne une lumière assez intense pour que la distance des postes télégraphiques ne lui fasse rien perdre de son éclat (cette distance est en moyenne de trois lieues) ; il faut que, sans entretien et sans réparation, cet éclat reste invariable pendant toute la durée des nuits ; il faut que la flamme résiste à l’impétuosité des vents et des courants atmosphériques qui balayent les hauteurs ; il faut enfin qu’elle suive sans vaciller les branches du télégraphe mises en mouvement par les manœuvres.

La plupart des combustibles essayés ont présenté chacun des inconvénients particuliers. Les graisses, les résines, la bougie, donnent peu de lumière et une fumée abondante qui masque et offusque les branches du télégraphe. Le gaz de l’éclairage