Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/607

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ronautes inexpérimentés ne songeaient pas à ouvrir la soupape, pour lui donner issue, les parois du ballon, violemment distendues, faisaient effort comme pour éclater : MM. Barral et Bixio ne pensaient qu’à relever les indications de leurs instruments.

Ils avaient déjà fait l’essai du polarimètre d’Arago ; ils notèrent la hauteur du baromètre qui indiquait une élévation de 5 893 mètres. Enfin ils se disposaient à observer le thermomètre, et comme l’instrument s’était chargé d’une légère couche de glace, l’un d’eux s’occupait à l’essuyer, pour reconnaître la hauteur de la colonne, lorsqu’il s’avisa par hasard de lever la tête… il demeura stupéfait du spectacle qui s’offrit à lui. Le ballon, gonflé outre mesure, était descendu jusque sur la nacelle, et la couvrait comme d’un immense manteau.

Que s’était-il donc passé ? Un fait bien simple et bien facile à prévoir. La soupape n’ayant pas été ouverte, pour donner issue à l’excès du gaz dilaté par la chaleur solaire, le ballon s’était peu à peu enflé et distendu de toutes parts. Comme le filet était trop petit, comme les cordes qui supportaient la nacelle étaient trop courtes, le ballon, en se distendant, commença par peser sur le cercle qui porte la nacelle ; puis, son volume augmentant toujours, il avait fini par pénétrer dans ce cercle. En ce moment, il faisait hernie à travers sa circonférence, et couvrait les expérimentateurs comme d’un vaste chapeau. En quelques minutes, tout mouvement leur devint impossible. Ils essayèrent de donner issue à l’excédant du gaz en faisant jouer la soupape ; mais il était trop tard, la soupape était condamnée : sa corde, pressée entre le cercle de suspension et la tumeur proéminente de l’aérostat, ne transmettait plus l’action de la main.

M. Barral prit alors le parti auquel le duc de Chartres avait eu recours en pareille occasion, et qui lui avait valu tant de méchantes épigrammes : il plongea son couteau dans les flancs de l’aérostat. Le gaz, s’échappant aussitôt, vint inonder la nacelle et l’envelopper d’une atmosphère irrespirable. Les aéronautes en furent l’un et l’autre à demi asphyxiés, et se trouvèrent pris de vomissements abondants. En même temps, le ballon commença à descendre à toute vitesse. En revenant à eux, ils aperçurent dans l’enveloppe du ballon une déchirure de plus d’un mètre et demi, provenant du coup de couteau, et par laquelle le gaz, s’échappant à grands flots, provoquait leur chute précipitée. La rapidité de cette descente leur sauva la vie, car elle les débarrassa du gaz irrespirable qui se dégageait au-dessus de leurs têtes.

Dans cette situation, MM. Barral et Bixio ne durent plus songer qu’à préserver leur existence. Il fallait pour cela, amortir, en arrivant à terre, l’accélération de la chute. M. Barral montra, dans cette manœuvre, toute l’habileté et tout le sang-froid d’un aéronaute consommé. Il rassemble son lest et tous les objets autres que les instruments qui chargent la nacelle, il mesure du regard la distance qui les sépare de la terre, et qui diminue avec une rapidité effrayante ; dès qu’il se croit assez rapproché du sol, il jette la cargaison par-dessus le bord : neuf sacs de sable, les couvertures de laine, les bottes fourrées, tout, excepté les précieux instruments qu’il tient à honneur de rapporter intacts. La manœuvre réussit aussi bien que possible ; le ballon tomba sans trop de violence au milieu d’une vigne du territoire de Lagny, dans le département de Seine-et-Marne.

M. Bixio sortit sain et sauf ; M. Barral en fut quitte pour une égratignure et une contusion au visage. Cette périlleuse expédition n’avait duré que quarante-sept minutes, et la descente s’était effectuée en sept minutes.

Un voyage exécuté dans des conditions pareilles, ne pouvait rapporter à la science un bien riche contingent. Cependant les deux physiciens reconnurent que la lumière des