Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/636

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Voici le texte original qui spécifie d’une façon précise, la manière dont se comportait Théodoric. J, Canappe, médecin de François Ier, dans son ouvrage imprimé à Lyon en 1553, le Guidon pour les barbiers et les chirurgiens, décrit ainsi, en parlant du régime pour trancher un membre mortifié le procédé mis en usage par Théodoric et ses imitateurs :

« Aucuns, dit-il, comme Théodoric, leur donnent médecines obdormières qui les endorment, afin que ne sentent incision, comme opium, succus morellœ, hyoscyami, mandragores, cicutœ, lactucœ, et plongent dedans esponge, et la laissent sécher au soleil, et quand il est nécessité, ils mettent cette esponge en eau chaulde, et leur donnent à odorer tant qu’ils prennent sommeil et s’endorment ; et quand ils sont endormis ; ils font l’opération ; et puis avec une autre esponge baignée en vinaigre et appliquée ès narines les esveillent, ou ils mettent ès narines ou en l’oreille, succum rutœ ou feni, et ainsi les esveillent, comme ils dient. Les autres donnent opium à boire, et font mal, spécialement s’il est jeune ; et le aperçoivent, car ce est avec une grande bataille de vertu animale et naturelle. J’ai ouï qu’ils encourent manie, et par conséquent la mort. »

Cependant l’histoire de la chirurgie du moyen âge est muette sur l’emploi de ces pratiques ; les préceptes de Théodoric restèrent donc sans application.

En 1681, pendant qu’il professait à Marbourg, l’illustre créateur de la machine à vapeur, Denis Papin, écrivit un Traité des opérations sans douleur. Malheureusement ses ressources ne lui permirent pas de livrer cet ouvrage à l’impression. En quittant l’Allemagne, il le laissa à un de ses amis, le médecin Bœmer. Ce manuscrit, conservé d’héritier en héritier dans la famille de ce médecin, fut acheté pour quelques louis par le bibliothécaire de l’électeur de Hesse. Il figure aujourd’hui à la place d’honneur dans la bibliothèque de ce prince, et il serait bien intéressant de le voir livrer à l’impression.

Dans les temps modernes, à l’époque de la renaissance de la chirurgie, au milieu de toutes les grandes questions scientifiques qui commencèrent à s’agiter, on ne pouvait pas négliger le problème d’abolir la douleur des opérations. Aussi, à mesure que s’augmentent les ressources et l’étendue de l’arsenal chirurgical, on voit les praticiens s’occuper, en même temps de défendre les malades contre cette misérable boutique et magasin de cruauté, comme l’appelait déjà Ambroise Paré. Mais une revue rapide des divers moyens qui ont été proposés ou employés jusqu’à ce jour pour atteindre ce but, montrera facilement que toutes les tentatives faites dans cette direction avaient échoué de la manière la plus complète.

L’opium, dont l’action narcotique a été connue de toute antiquité, et que Van Helmont appelle un don spécifique du Créateur, a été employé à toutes les époques pour atténuer l’aiguillon de la douleur. Théodoric et Guy de Chauliac l’administraient aux malades qu’ils se disposaient à opérer. Beaucoup de chirurgiens imitèrent cet exemple, et au siècle dernier, Sassard, chirurgien de la Charité, a beaucoup insisté pour faire administrer, avant les opérations graves et douloureuses, un narcotique approprié à l’âge, au tempérament et aux forces du malade. Mais la variabilité et l’inconstance des effets de l’opium, l’excitation qu’il provoque souvent au lieu de l’insensibilité que l’on recherche, son action toxique, les congestions cérébrales auxquelles il expose, la lenteur avec laquelle s’efface l’impression qu’il a produite sur l’économie, tout contribuait à faire rejeter son emploi de la pratique chirurgicale[1].

La compression a été assez souvent employée dans la chirurgie moderne pour diminuer la douleur pendant les grandes opérations, et surtout dans les amputations des membres. Elle était exercée à l’aide d’une

  1. Le docteur Esdaile a expérimenté à Calcutta, en 1850, les narcotiques opiacés comme agents d’anesthésie, et le résultat des expériences a été entièrement défavorable.