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sucrée pendant quatorze heures ; il a eu des vertiges, ses jambes sont restées avinées.

Le cinquième, en quittant la vessie, a éprouvé des éblouissements, puis une sensation de plaisir s’est répandue dans tout son corps ; il a eu les jambes avinées.

Le sixième a conservé toute la journée la saveur douce du gaz ; il a eu des tintements d’oreilles, une pesanteur d’estomac et les jambes avinées. Au total, ce qu’il a ressenti lui a paru plus pénible qu’agréable.

Seconde séance. — Douze personnes ont respiré le gaz, et plusieurs à deux reprises : quelques-unes l’avaient déjà respiré dans la première séance ; toutes, indistinctement, en ont été plus ou moins incommodées. M. Dispan, qui dirigeait la séance, décrit ainsi ce qu’il éprouva lui-même : « Dès la première inspiration, j’ai vidé la vessie, une saveur sucrée a, dans l’instant, rempli ma bouche et ma poitrine tout entière, qui se dilatait de bien-être. J’ai vidé mes poumons et les ai remplis encore ; mais à la troisième reprise, les oreilles m’ont tinté, et j’ai abandonné la vessie. Alors, sans perdre précisément connaissance, je suis demeuré un instant promenant les yeux dans une espèce d’étourdissement sourd, puis je me suis pris, sans y penser, d’éclats de rire tels que je n’en ai jamais fait de ma vie. Après quelques secondes, ce besoin de rire a cessé tout d’un coup, et je n’ai plus éprouvé le moindre symptôme. Ayant réitéré l’épreuve dans la même séance, je n’ai plus éprouvé le besoin de rire. Je n’aurais fait que tomber en syncope, si j’eusse poussé l’expérience plus loin.

Des essais du même genre furent répétés à la même époque par beaucoup d’autres savants, et l’on put se convaincre ainsi que les effets physiologiques du protoxyde d’azote variaient selon les individus. Aux États-Unis, M. Mitchell et plusieurs autres personnes respirèrent le gaz hilarant : ils furent frappés, comme Davy, de sa propriété d’exciter le rire et de procurer une sensation générale agréable. En Suède, Berzelius ne remarqua rien autre chose que la saveur douce du gaz. À Kiel, Pfaff et plusieurs de ses élèves confirmèrent les résultats obtenus par Davy. L’une des personnes qui l’avaient respiré, dit Pfaff, fut enivrée très-vite et jetée dans une extase extraordinaire et des plus agréables ; quelques-unes résistèrent davantage. Le professeur Würzer ressentit seulement de la gêne dans la poitrine et un sentiment de compression sur les tempes. Plusieurs de ses auditeurs qui essayèrent, à son exemple, de respirer le gaz, eurent des sensations assez différentes, mais tous accusèrent une gaieté insolite suivie quelquefois d’un tremblement nerveux. Ces résultats contradictoires peuvent s’expliquer en partie par l’impureté du protoxyde d’azote dont on faisait usage. La décomposition de l’azotate d’ammoniaque, à laquelle on avait recours pour la préparation de ce gaz, peut en effet donner naissance à quelques produits étrangers, et notamment à de l’acide hypoazotique, dont l’action irritante et suffocante rend compte de certains effets d’asphyxie partielle observés dans ces circonstances.

À dater de ce moment, les inhalations gazeuses devinrent une sorte de mode dans les cours publics et dans les laboratoires de chimie. Mais le gaz hilarant pouvait exposer aux divers accidents mentionnés plus haut ; on chercha donc à le remplacer par un autre gaz qui, tout en jouissant de propriétés analogues, fût exempt de ces dangers. Il serait fort difficile de dire comment et à quelle époque se présenta l’idée de substituer au gaz hilarant les vapeurs d’éther sulfurique ; il est certain néanmoins que quelques années après, les élèves de chimie dans les cours publics, les apprentis dans les laboratoires des pharmacies, étaient dans l’habitude de respirer les vapeurs d’éther, comme objet d’amusement, ou pour se procurer cette ivresse d’une nature si spéciale qu’amenait l’inspiration du protoxyde d’azote. La tradition qui confirme cette pratique est encore vivante en Angleterre et aux États-Unis[1].

  1. C’est probablement d’après ces faits que la médecine commença, à cette époque, à tirer parti de l’éther sulfurique employé en vapeurs. Vers l’année 1820, Anglada, professeur de toxicologie à Montpellier, prescrivait les vapeurs d’éther contre les douleurs névralgiques ; il se servait, à cet effet, d’un flacon de Wolf à deux tubulures. Selon M. Duméril, le docteur Desportes conseillait aux phthisiques les inhalations d’éther, et il en obtenait des effets sédatifs. En Angleterre, le docteur Thornton était dans l’usage, à la même époque, d’administrer, entre autres remèdes pneumatiques, la vapeur d’éther ; l’un de nos savants contempo-