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tendues pour le tube inspirateur, devaient faire prochainement disparaître les causes d’insuccès.

Six jours après, Velpeau informa l’Académie des sciences des faits qui commençaient à occuper très-vivement les esprits. Cependant Velpeau ne parlait encore qu’avec une certaine défiance : il redoutait pour les malades l’effet stupéfiant de l’éther, et ne paraissait pas disposé à croire que l’insensibilité pût se prolonger assez longtemps pour permettre d’exécuter une opération d’une certaine importance. Mais tous ses doutes ne tardèrent pas à s’évanouir. À mesure que la construction des appareils se perfectionnait, les cas de résistance à l’action de l’éther devenaient plus rares. Velpeau, Roux, Jobert et M. Laugier, apportèrent à l’Académie des sciences des faits devant lesquels devaient disparaître toutes les hésitations.

Pour montrer avec quelle promptitude furent dissipées les appréhensions qui avaient accueilli les premiers résultats de la méthode américaine, nous rapporterons la communication pleine d’intérêt faite par Velpeau à l’Académie des sciences le 1er février 1847. Voici en quels termes ce chirurgien parlait d’une découverte qu’il avait accueillie, quinze jours auparavant, avec tant de réserve :

« Dans deux autres séances, dit Velpeau, en entretenant l’Académie de l’effet des vapeurs éthérées sur des malades qu’on veut opérer, j’ai fait remarquer que la chirurgie ne tarderait pas à savoir à quoi s’en tenir sur la réalité des faits annoncés. Lundi dernier, la question était déjà assez avancée pour m’autoriser à dire qu’elle me paraissait pleine d’avenir : aujourd’hui les observations se sont multipliées de toutes parts, en France, comme en Angleterre, comme en Amérique ; de toutes parts aussi, les faits, confirmés les uns par les autres, deviennent d’un intérêt immense.

« J’avais émis la pensée que le relâchement des muscles observé par moi sur un premier malade soumis à l’inhalation de l’éther deviendrait utile s’il était possible de le reproduire à volonté, pour la réduction de certaines fractures ou de certaines luxations. Je trouvai à l’hôpital de la Charité, le lendemain même du jour où je manifestais cet espoir, un homme jeune, robuste, vigoureux, fortement musclé, qui était atteint d’une fracture de la cuisse droite. Naturellement exalté, très-impressionnable, cet homme se livrait malgré lui à des contractions presque convulsives dès qu’on tentait de le toucher pour redresser ses membres. Soumis à l’inhalation de l’éther, il tomba bientôt dans une sorte d’ivresse, avec agitation des sens et loquacité. La sensibilité s’éteignit chez lui au bout de cinq minutes ; les muscles se relâchèrent, et nous pûmes redonner à sa cuisse la longueur et la forme désirables, sans qu’il eût paru souffrir ou s’en apercevoir.

« Le jour suivant, j’eus à opérer un homme également vigoureux et fort d’une tumeur qu’il avait au-dessous de l’oreille gauche, et qui pénétrait dans le creux de la région parotidienne. Cette région, remplie de nerfs, de vaisseaux et de tissus filamenteux ou glanduleux très-serrés, est une de celles (tous les chirurgiens le savent) où les opérations occasionnent le plus de douleur. Soumis à l’action de l’éther, le malade est tombé dans l’insensibilité au bout de trois minutes ; l’opération était à moitié pratiquée sans qu’il eût fait de mouvement ni proféré de cris. Il s’est mis ensuite à parler, à vouloir se remuer, à nous prier d’ôter notre camphre qui le gênait, mais sans avoir l’air de songer à ce que je faisais. Une fois l’opération terminée, il est rentré peu à peu dans son bon sens, et nous a expliqué comme quoi il venait de faire un rêve dans lequel il se croyait occupé à une partie de billard, l’agitation, les paroles que nous avions remarquées, tenaient, nous a-t-il dit, aux nécessités de son jeu, et surtout à ce que quelqu’un venait de lui enlever un cheval laissé à la porte pendant qu’il achevait sa partie. Quant à l’opération, il ne l’avait sentie en aucune façon, il ne s’en était point aperçu ; seulement, en invoquant ses souvenirs et ses sensations, il nous a soutenu qu’il entendait très-bien mes coups de bistouri, qu’il en distinguait le cric crac, mais qu’il ne les sentait point, qu’ils ne lui causaient aucune douleur.

« Une malheureuse jeune femme accouchée depuis six semaines, entre à l’hôpital pour un vaste dépôt dans la mamelle. Ce dépôt ayant besoin d’être largement incisé, je propose à la malade de la soumettre préalablement aux inhalations de l’éther ; elle s’y soumet comme pour essayer, et en quelque sorte sans intention d’aller jusqu’au bout. Il lui suffit, en réalité, de quatre ou cinq inspirations de moins d’une minute pour perdre la sensibilité, sans agitation, sans réaction préalable. Son visage se colore légèrement, ses yeux se ferment ; je lui fends largement le sein, sans qu’elle manifeste le plus léger signe de douleur ; une minute après elle ouvre les yeux, semble sortir d’un sommeil léger, paraît un peu émue, et nous dit : Je suis bien fâchée que vous ne m’ayez pas fait l’opération. Au bout de quelques secondes elle a repris ses sens, voit que son abcès est incisé, et nous affirme de la manière la plus for-