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Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/665

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que présentait le chloroforme sur l’éther, et il citait, entre autres preuves, le fait d’un jeune dentiste qui s’était fait arracher deux dents, l’une sous l’influence de l’inhalation éthérée, l’autre sous celle de l’inhalation chloroformique. Dans le premier cas, l’insensibilité n’arriva qu’au bout de cinq ou six minutes, et l’individu éprouva, sinon la douleur, au moins la conscience de l’opération ; lors de l’extraction de la seconde dent, il suffit, pour le rendre complètement insensible, de lui placer sous le nez un mouchoir imbibé de deux grammes de chloroforme, « L’insensibilité, dit le sujet de cette observation, se manifesta en quelques secondes, et j’étais si complètement mort, que je n’ai pas eu la moindre conscience de ce qui s’était passé. »

C’est le 10 novembre 1847, c’est-à-dire moins d’une année après l’introduction en Europe de la méthode anesthésique, que le mémoire de M. Simpson fut communiqué à la Société médico-chirurgicale d’Édimbourg. Les journaux anglais répandirent promptement la connaissance de ce fait, qui ne tarda pas à trouver une confirmation éclatante dans la pratique des chirurgiens de Paris. Le chloroforme devint bientôt, dans tous les hôpitaux de l’Europe, le sujet d’expérimentations multipliées, et l’ardeur qui avait été apportée précédemment à l’étude des propriétés de l’éther, se réveilla tout entière à propos du nouvel agent. Partout le chloroforme réalisa les promesses de M. Simpson, et tout semblait annoncer qu’il avait à jamais détrôné son rival.

Mais cet horizon si brillant ne tarda pas à s’assombrir. De vagues rumeurs commencèrent à circuler, qui prirent bientôt une forme et une consistance plus sérieuses. On parlait de morts arrivées subitement pendant l’administration du chloroforme, et qui ne pouvaient se rapporter qu’à son emploi. M. Flourens avait prononcé un mot justement remarqué : « Si l’éther sulfurique, avait-il dit, est un agent merveilleux et terrible, le chloroforme est plus merveilleux et plus terrible encore. » Cet arrêt ne tarda pas à se confirmer. On acquit la triste certitude que l’activité extraordinaire du chloroforme expose aux plus graves dangers, et que si l’on néglige certaines précautions indispensables, on peut quelquefois si bien éteindre la sensibilité, que l’on éteint en même temps la vie. Ainsi, les chirurgiens purent répéter avec le poète :

La fortune nous vend ce qu’on croit qu’elle donne.
Fig. 347. — Simpson.

Les premières alarmes furent données par l’annonce d’un accident terrible arrivé à Boulogne, pendant l’administration du chloroforme. Une jeune femme, pleine de vigueur et de santé, soumise, pour une opération insignifiante, à l’inhalation du chloroforme, était tombée, comme foudroyée entre les mains du chirurgien. Cet événement ayant donné lieu à un commencement de poursuites judiciaires, le ministre de la justice demanda à l’Académie de médecine une consultation médico-légale à propos de ce fait, et d’un autre côté, son collègue de l’ins-