Page:Figuier - Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 2.djvu/686

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commença alors la grave opération de la désarticulation de la cuisse. L’opérateur avait taillé le lambeau antérieur et lié les vaisseaux ; il ne restait qu’à désarticuler le fémur et à tailler le lambeau postérieur ; mais le sujet commençant à s’éveiller, Robert prescrivit une nouvelle inhalation de chloroforme, tout en continuant l’opération. Un quart de minute s’était à peine écoulé, que la respiration devint stertoreuse. L’inhalation fut aussitôt suspendue. Le visage était très-pâle, les lèvres décolorées, les pupilles dilatées, les yeux renversés sous les paupières supérieures. Le chirurgien suspendit l’opération pour essayer de ranimer le malade, mais la respiration devint rare et suspirieuse, le pouls ne se sentait plus, les membres étaient dans un état complet de résolution. On essaya les frictions sur la peau, les irritations de la membrane pituitaire, le soulèvement cadencé des bras et du thorax ; plusieurs fois la respiration sembla se ranimer, et le pouls devint appréciable ; mais, après trois quarts d’heure d’efforts incessants, tout espoir s’évanouit, et l’on n’eut entre les mains qu’un cadavre.

Tels sont les faits qui devinrent le texte de la discussion importante qui eut lieu, en 1848, à l’Académie de médecine. Malgaigne ne crut point y trouver des motifs suffisants pour condamner l’emploi du chloroforme. Parmi tous les faits exposés dans son rapport, Malgaigne n’en admettait que trois dans lesquels la mort fût positivement imputable au chloroforme. Les autres cas s’expliquent, selon lui, soit par l’asphyxie, soit par des morts subites déterminées par certaines lésions organiques dont les individus étaient affectés.

Les explications données par Malgaigne ne parurent point répondre à la gravité des faits constatés. Ranger dans la catégorie équivoque des morts subites la plupart de ces faits, était une espèce de faux-fuyant qui, en général, parut d’assez mauvais goût. Si les sujets qui ont succombé portaient des lésions organiques suffisantes pour amener subitement la mort, elles devaient sauter aux yeux du clinicien le moins exercé ; comment se fait-il dès lors que personne n’ait su les diagnostiquer d’avance ? Si ces altérations avaient présenté une certaine gravité, le praticien n’eût pas manqué de les reconnaître, et, dans ce cas, il se fût dispensé d’opérer. Sans doute, chez quelques-uns de ces malades, certaines dispositions individuelles avaient pu seconder l’action léthifère du chloroforme ; mais il n’y avait rien là qui menaçât directement et actuellement leur vie. D’ailleurs, dans tous les autres cas, les sujets jouissaient d’une santé parfaite, et ne se présentaient que pour subir des opérations insignifiantes : deux venaient se faire arracher une dent, le troisième arracher un ongle, le quatrième inciser un petit abcès, le cinquième ne respirait le chloroforme que pour se procurer un état d’ivresse. Il fallait évidemment une certaine complaisance pour affirmer que tous ces individus étaient sous l’imminence d’une mort subite.

Il est tout aussi difficile d’admettre, avec Malgaigne, que la plupart des cas de mort analysés dans son travail puissent reconnaître pour cause l’asphyxie. Il n’existe point, selon nous, de cause d’asphyxie qui amène la mort en trois minutes ; il n’est pas dans la nature de l’asphyxie de tuer aussi soudainement, et surtout de résister à toute la série, si bien entendue, des moyens que l’on s’est hâté de mettre en œuvre pour la combattre.

Ainsi, il était plus simple, et en même temps plus conforme aux faits, de rapporter ces diverses morts à une action toxique propre au chloroforme. Ce composé appartient, en effet, à la classe des poisons les plus actifs, et c’est ce qu’a parfaitement démontré M. Jules Guérin, qui a émis en même temps, des vues aussi neuves que justes sur le mode d’action du chloroforme. M. Guérin a établi que le chloroforme peut exercer de deux manières son action délétère, sur l’homme et les animaux qui le respirent ; 1o d’une manière