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foudroyante, en sidérant subitement l’économie, en altérant subitement la vie dans sa source même, comme le font les poisons septiques, tels que l’acide cyanhydrique ou l’hydrogène arsénié ; 2o par suite d’une action particulière sur l’appareil nerveux qui préside à l’exercice de la fonction respiratoire, laquelle se trouve arrêtée et laisse ainsi apparaître les phénomènes de l’asphyxie. Ces deux modes différents de l’action du chloroforme rendent compte de la diversité des circonstances qu’ont présentées les cas de mort, observés à la suite de l’administration de cet agent. M. Guérin a montré, de plus, que certaines dispositions individuelles, ou bien quelques états physiques particuliers, tels que la faiblesse, par suite de saignée, de diète, de maladie, l’âge, etc., rendent l’homme plus accessible à l’action léthifère du chloroforme[1].

Cependant cette doctrine ne prévalut point devant l’Académie de médecine. Mue par un sentiment louable, puisqu’elle désirait surtout ne pas discréditer à son début l’emploi des anesthésiques, et ne pas faire perdre à la chirurgie une de ses plus belles conquêtes, la majorité de l’Académie, entrant dans les vues de son rapporteur, crut devoir absoudre le chloroforme des revers qui lui étaient attribués. Voici, en effet, les conclusions adoptées par l’Académie à la suite de la discussion du rapport de Malgaigne.

En ce qui touche la mort de mademoiselle Stock, on formula les conclusions suivantes :

« 1o La mort ne saurait être attribuée, en aucune façon, à l’action toxique du chloroforme.

« 2o Il existe dans la science un grand nombre d’exemples tout à fait analogues de morts subites et imprévues, soit à l’occasion d’une opération, soit même en dehors de toute opération, mais surtout en dehors de toute application du chloroforme, sans que les recherches les plus minutieuses permettent toujours d’assigner la cause de la mort.

« 3o Toutefois, dans le cas en question, l’explication la plus probable paraît être l’immixtion d’une quantité de fluide gazeux dans le sang. »

En ce qui touche la nocuité ou l’innocuité générale du chloroforme, l’Académie adopta les conclusions suivantes :

« 1o Le chloroforme est un agent des plus énergiques qu’on pourrait rapprocher de la classe des poisons, et qui ne doit être manié que par des mains expérimentées.

« 2o Le chloroforme est sujet à irriter, par son odeur et son contact, les voies aériennes, ce qui exige plus de réserve dans son emploi lorsqu’il existe quelque affection du cœur ou des poumons.

« 3o Le chloroforme possède une action toxique propre, que la médecine a tournée à son profit en l’arrêtant à la période d’insensibilité, mais qui, trop longtemps prolongée, ou à dose trop considérable, peut amener directement la mort.

« 4o Certains modes d’administration apportent un danger de plus, étranger à l’action du chloroforme lui-même : ainsi on court des risques d’asphyxie, soit quand les vapeurs anesthésiques ne sont pas suffisamment mêlées d’air atmosphérique, soit quand la respiration ne s’exécute pas librement.

« 5o On se met à l’abri de tous ces dangers en observant exactement les précautions suivantes : 1o S’abstenir ou s’arrêter dans tous les cas de contre-indication bien avérée, et vérifier avant tout l’état des organes de la circulation et de la respiration ; 2o prendre soin, pendant l’inhalation, que l’air se mêle suffisamment aux vapeurs du chloroforme, et que la respiration s’exécute avec une entière liberté ; 3o suspendre l’inhalation aussitôt l’insensibilité obtenue, sauf à y revenir quand la sensibilité se réveille avant la fin de l’opération. »

Ainsi, le chloroforme sortait victorieux du débat académique. La méthode anesthésique avait obtenu, de l’issue de ces discussions, une consécration solennelle, et le chloroforme conservait, dans la pratique des opérations, la place qu’il avait conquise. Le rapport académique le rangeait, il est vrai, au nombre des poisons, mais on l’amnistiait de toute conséquence fâcheuse, en ajoutant que certaines précautions déterminées mettent les malades « à l’abri de tous dangers. »

Confiants dans l’opinion et les hautes lumières de notre premier corps médical, les praticiens reprirent donc l’emploi du chloro-

  1. Bulletin de l’Académie nationale de médecine, t. XIX, p. 269 et 396, séances du 14 novembre 1848 et du 9 janvier 1849.